Sang Royal
échappés dans les landes, d’autres ont gagné l’Écosse, et certains se trouvent également à Londres. Le voleur aurait été plus avisé de prendre la fuite, or on n’a noté la disparition inopinée de personne. Peut-être a-t-il remis les documents à un complice avant de reprendre sa place parmi nous. Afin de vous faire disparaître, puisque vous êtes le seul à avoir vu le contenu de ce coffret – c’est du moins ce que croient ces gens… Ils pensent sans doute que vous avez gardé pour vous ce que vous avez découvert, au lieu de me le révéler, ajouta-t-il, le front plissé.
— C’est possible, en effet.
— Je vais devoir faire part de cet incident au Conseil privé.
— Ne pensez-vous pas qu’il serait préférable que je quitte le cortège et que je rentre à Londres ? dis-je après une courte hésitation.
— Non, non, messire Shardlake ! répliqua-t-il avec un sourire glacial. Vous pourrez nous servir d’appât. Peut-être amènerez-vous notre meurtrier à se découvrir…
— … ou à m’assassiner. »
Il haussa les épaules. « À vous de rester sur vos gardes ! Que ce soit votre châtiment pour vous être laissé voler le contenu du coffret. Non, je vous interdis de quitter le cortège. » Il me sourit durant un long moment, promenant un gros doigt poilu le long du bord de sa barbe, l’ongle jauni se détachant sur les poils noirs.
« À vos ordres, sir William, répondis-je d’un ton neutre, professionnel. J’ai l’intention d’aller de ce pas rendre visite à messire Wrenne. Il paraît qu’il a été victime d’un malaise. Nous risquons de devoir prendre d’autres dispositions s’il ne peut pas assister à la discussion des doléances. »
Il poussa un grognement. « J’avais bien dit qu’il était trop âgé pour cette tâche. Il nous faudra trouver un remplaçant. Envoyez-moi un message s’il n’est pas disponible. Vous, vous n’êtes pas capable de remplir cette fonction… Il nous faut quelqu’un qui ait de la prestance et qui jouisse d’une certaine réputation dans la région pour présider les séances d’arbitrage », précisa-t-il en me décochant un nouveau sourire.
Je fis une révérence et sortis. Tout en descendant l’escalier, je décidai que, puisque je devais me défendre tout seul, j’allais dorénavant porter un poignard à la ceinture, même s’il était interdit d’être armé au Manoir du roi.
Comme je longeais une rue Petergate brumeuse en direction de la cathédrale, j’aperçus des manouvriers, armés de râteaux et revêtus de la tenue de la ville, qui s’employaient à égaliser le sable et la cendre sur la voie. Le roi allait sans doute revenir à York pour assister à de nouvelles cérémonies et à de nouveaux spectacles. Devant les petites maisons, je repensai au règlement qui interdisait aux Yorkais de jeter leurs déchets dans la rue ou dans la rivière durant le séjour du cortège. Les ordures devaient s’entasser dans les arrière-cours. Voilà le symbole même de cette visite royale ! Du clinquant en façade et un tas d’étrons derrière.
On me laissa entrer dans l’enceinte de la cathédrale. Je frappai à la porte de Wrenne et fus accueilli par la vieille gouvernante. Elle avait les traits tendus et la mine angoissée.
« Bonjour, Madge. Comment va messire Wrenne ? J’ai appris qu’il était souffrant.
— Le maître n’est pas capable de travailler, aujourd’hui. Il est couché bien au chaud dans son lit. Le docteur est à son chevet.
— Je suis juste venu m’enquérir de sa santé. »
Elle hésita un instant. « Eh bien, entrez donc, m’sieu. Je vais voir s’il peut vous recevoir. »
Elle me laissa dans la salle. Le feu était éteint, le faucon gris dormait sur son perchoir, la tête enfouie sous son aile. Je songeai à Barak parti à la chasse, accompagné de Tamasin. Je n’avais pas voulu rester seul à Sainte-Marie et je savais que je me sentirais en sécurité chez Wrenne.
Je parcourus du regard les piles de livres à l’entour. J’avais en tête de trouver quelque part une carte du Kent, afin d’y vérifier la situation du village de Braybourne. Je n’avais aucune idée de ce qu’il faudrait en déduire, mais ce serait un début. En outre, ma détermination à découvrir ce qui se passait s’était accrue. Cela contrebalançait mon sentiment de honte et de colère après l’incident de Fulford Cross.
Madge vint m’annoncer que messire Wrenne allait me
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