Sang Royal
York.
— Oui. Je ne me suis jamais senti à l’aise dans le Sud… J’ai un neveu à Gray’s Inn, poursuivit-il après une courte hésitation, le fils de la sœur de ma défunte épouse. Il y est allé étudier et y est resté. Peut-être avez-vous entendu parler de lui ? fit-il en posant sur moi un regard appuyé. Il s’appelle Martin Dakin et doit avoir plus ou moins votre âge, aujourd’hui. À moins qu’il ne soit quelque peu plus âgé. Il a un peu plus de quarante ans.
— Non. Je ne le connais pas. Mais il y a des centaines de juristes à Londres. »
Il eut l’air mal à l’aise. « Il y a eu grave différend. Une querelle de famille nous a fait perdre le contact. J’aimerais le revoir avant de mourir, soupira-t-il. Aujourd’hui, il est toute ma famille, voyez-vous. Ses parents sont morts de la peste, il y a trois ans.
— La peste semble avoir emporté beaucoup de monde…
— Les cinq dernières années ont été une période atroce pour York, dit-il en secouant la tête. La rébellion en 1536, puis la peste en 1538. Elle a également sévi en 1539, et à nouveau l’année dernière. Cette année, Dieu merci, nous avons été épargnés… Autrement, ajouta-t-il avec un sourire narquois, nous n’aurions pas eu droit à la visite du roi. Ses avant-coureurs ont inspecté les hôpitaux tout l’été pour s’assurer qu’il n’y avait eu aucun cas de la maladie. Mais à la place nous avons eu la nouvelle conspiration. Nous vivons une époque troublée.
— Eh bien, espérons que l’avenir sera plus rose ! Et je me chargerai volontiers d’un message pour votre neveu, monsieur, si vous voulez.
— Merci, dit Wrenne en hochant lentement la tête. Je vais y réfléchir. J’avais un fils que j’espérais voir embrasser comme moi la carrière juridique, mais il est mort à l’âge de cinq ans, le malheureux. » Il fixa le feu, puis haussa les épaules et sourit. « Pardonnez ces propos moroses d’un vieillard. Je suis le dernier de ma lignée et certains jours, cela est lourd à porter. »
Ma gorge se serra, car ses paroles me firent penser à mon père. Moi aussi, j’étais le dernier de ma lignée.
« Nous avons remarqué, monsieur, que les mesures de sécurité appliquées en ville semblaient très importantes. Nous avons vu un Écossais se faire refouler à Bootham Bar.
— C’est vrai. Et tous les robustes gueux sont chassés de la ville. Les mendiants auront quitté l’enceinte de la cathédrale dès demain. Pauvres miséreux, ces dispositions sont draconiennes… Vous devez savoir, monsieur, reprit-il, après une brève hésitation, que le roi n’est guère aimé ici. Ni par les membres de la petite noblesse, même s’ils se prosternent devant lui à présent, ni, encore moins, parmi les gens du peuple. »
Je me rappelai la façon dont Cranmer avait vitupéré les papistes nordistes.
« À cause des réformes religieuses qui ont causé le soulèvement ?
— Oui. » Il serra fortement sa coupe. « Je m’en souviens fort bien. Les agents du roi fermaient les monastères et évaluaient les biens de l’Église. Puis d’un seul coup le peuple s’est insurgé dans tout le Yorkshire. L’émeute s’est propagée comme un feu de broussailles. » Il agita une grande main carrée où étincelait une belle émeraude. « Ils ont élu Robert Aske comme chef et moins d’une semaine plus tard il est entré dans York à la tête de cinq mille hommes. Le conseil municipal et les autorités de la cathédrale étaient terrifiés par cette foule déchaînée de grossiers paysans qui s’étaient constitués en armée. On a donc décidé d’obéir à Aske et les autorités ecclésiastiques ont fait célébrer un office pour lui. » Il désigna la fenêtre du menton. « J’ai regardé d’ici la file des rebelles entrer dans la cathédrale pour assister à la messe. Ils étaient des milliers, tous armés de piques et d’épées. »
Je hochai la tête, perplexe. « Et ils pensaient pouvoir contraindre le roi à revenir sur les réformes religieuses…
— Robert Aske était bien naïf pour un avocat. Mais si le roi ne les avait pas dupés et conduits à se débander, je pense qu’ils auraient envahi tout le pays. » Il posa sur moi un regard grave. « Le mécontentement du Nord remonte à très loin. À la guerre des Deux-Roses, au siècle dernier. Le Nord était fidèle à Richard III et les Tudors n’ont jamais été très aimés dans la région. La
Weitere Kostenlose Bücher