Sang Royal
s’est limité aux monastères. Pour le moment.
— Ça n’a aucun sens.
— Ça fait partie du compromis avec le parti de la tradition. Tu ne peux pas espérer que la politique soit logique.
— Là-dessus, vous avez raison. »
L’air toujours aussi chagrin, la gouvernante âgée de Wrenne ouvrit la porte. Le vieil homme lisait dans la salle éclairée par des bougies où un bon feu flambait dans le foyer central. Depuis la veille on avait fait un brin de ménage : les livres avaient été remis en ordre et les carreaux verts et jaunes du sol brillaient. Le faucon pèlerin était toujours juché sur son perchoir, près du feu ; la clochette attachée à sa patte tinta au moment où il se tourna vers nous. On avait recouvert d’une belle nappe ornée de roses blanches la table, où s’élevaient trois hautes piles de feuillets. Messire Wrenne posa son livre et se mit lentement sur pied.
« Le confrère Shardlake. Avec le jeune Barak. Fort bien.
— Je vous prie d’excuser notre retard. Avez-vous reçu mon mot ?
— Oui. Vous parliez d’une affaire urgente à régler ? »
Je racontai une fois de plus la découverte du corps du verrier dans son chariot, laissant de côté les événements qui s’étaient ensuivis. Wrenne fronça les sourcils d’un air soucieux.
« Peter Oldroyd. Oui, je le connaissais. J’ai travaillé en tant que juriste pour la corporation des verriers dont il a été le président durant une année. Un homme calme et respectable qui avait perdu sa famille durant l’épidémie de peste de 1538. Quelle tristesse ! » Il se tut un long moment avant de poursuivre : « Vous me surprenez en pleine lecture de la biographie de Richard III par sir Thomas More. C’était un homme aux propos particulièrement injurieux, non ?
— En effet. Ce n’était pas le gentil saint décrit par certains.
— Mais il a le don de la formule. J’ai lu ses écrits sur la guerre des Deux-Roses du siècle dernier. “Ce furent jeux de rois, comme s’il s’agissait de pièces de théâtre, jouées sur l’échafaud, pour la plupart.”
— En effet. La scène était aussi le champ de bataille ensanglanté.
— Vous avez raison. Mais asseyez-vous donc ! Buvez un verre de vin avant que nous nous mettions à l’ouvrage. Vous semblez avoir eu une matinée épouvantable.
— Merci. Avec plaisir. » Comme je saisissais ma coupe, mon regard dériva vers la pile de livres. « Vous avez là une collection de livres très rares, monsieur.
— Oui. Je possède nombre de livres ayant appartenu aux moines. Ce ne sont pas des essais de théologie susceptibles de me faire surveiller par le Conseil du Nord, mais j’ai sauvé des ouvrages d’histoire et de philosophie de grande valeur. Non seulement pour l’intérêt qu’ils présentent mais aussi pour leur beauté. Je suis une sorte d’antiquaire, voyez-vous. C’est la passion de toute une vie.
— Voilà une admirable occupation. Les monastères péchaient certes par beaucoup d’aspects, mais tant de savoir et de beauté ont été réduits en cendres ! J’ai vu des pages écrites avec un soin extrême il y a plusieurs siècles employées à bouchonner des chevaux. »
Il opina du chef. « Je me doutais que nous serions des esprits frères. Je sais reconnaître un érudit. On a écumé les bibliothèques des monastères à York ces trois dernières années : Saint-Clément, la Sainte-Trinité, et surtout Sainte-Marie… L’antiquaire John Leland est venu ici au printemps, ajouta-t-il en souriant. Il a été fasciné par la bibliothèque que j’ai constituée à l’étage. Voire un rien jaloux, m’a-t-il semblé.
— Peut-être me permettrez-vous de l’admirer un de ces jours ?
— Bien sûr, répondit Wrenne en inclinant sa tête léonine. Mais aujourd’hui je crains que nous ne devions étudier des documents de moindre importance : les requêtes adressées au roi, fit-il avec un sourire ironique. Où exercez-vous, déjà, confrère Shardlake ?
— À Lincoln’s Inn. J’ai de la chance car j’habite tout à côté, dans Chancery Lane.
— J’ai fait mes études de droit à Gray’s Inn, il y a de nombreuses années. Je suis arrivé à Londres en 1486, précisa-t-il avec le même sourire. Le père de l’actuel roi régnait depuis moins d’un an. »
Je fis un rapide calcul. Cinquante-cinq ans plus tôt. Wrenne devait donc avoir bien plus de soixante-dix ans.
« Mais vous êtes revenu exercer à
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