Sang Royal
anciens pâturages en cultures de légumes destinées à la ville, et ses laboureurs ne cessaient de déterrer des ossements humains que les autorités ecclésiastiques lui enjoignaient de porter au cimetière de la paroisse pour qu’ils y soient inhumés. Il souhaitait donc être défrayé des dépenses que lui causaient toutes ces allées et venues et dédommagé pour le temps perdu.
« Towton, fis-je. C’est le lieu d’une bataille, non ?
— La plus grande bataille de la guerre des Deux-Roses. En 1461. Il y a eu trente mille morts dans cette plaine ensanglantée. Et voilà que ce paysan dépose une plainte en justice pour qu’on lui paye le transport des ossements jusqu’au cimetière. À votre avis, que doit-on faire de cette requête ?
— À l’évidence, ce n’est pas de notre ressort. Cela concerne l’Église. Il faut donc envoyer la demande au doyen de la cathédrale.
— Mais il est peu probable que l’Église agisse contre ses propres intérêts et dédommage ce fermier, n’est-ce pas ? demanda Barak. Il faudrait au moins que le plaignant soit représenté par un avocat. »
Wrenne reprit le papier, un sourire sardonique aux lèvres. « Mon confrère a raison, malgré tout. La requête relève du droit canon et ne peut être jointe aux autres placets adressés au roi. La juridiction de l’Église est une question sensible en ce moment. Le roi n’aurait aucune envie de soulever une tempête de protestations à propos d’une affaire aussi mince. Non, nous devons prier le fermier de s’adresser au doyen.
— Tout à fait d’accord », dis-je.
Wrenne nous offrit à nouveau son sourire ironique. « Aujourd’hui nous sommes contraints d’agir en politiciens. Et de reconnaître que la loi a ses limites. Vous ne devez pas trop compter sur elle, maître Barak. »
Dès cinq heures du soir, toutes les requêtes étaient succinctement récapitulées. Le jour tombait et j’entendais la pluie crépiter contre les fenêtres. Wrenne parcourut les résumés. « Bon, fit-il. Il me semble que tout est clair.
— Très bien. Alors, il nous faut rentrer. Nous avons à faire au Manoir du roi. »
Il regarda par la fenêtre. « Permettez-moi de vous prêter un manteau, car il pleut à verse, des hallebardes, comme on dit. Attendez-moi un instant. » Il quitta la salle. Nous nous approchâmes du feu.
« C’est un bon vieillard, dit Barak.
— C’est vrai. » J’étendis mes mains pour les réchauffer. « Cet homme doit s’ennuyer, à mon avis. Pour toute compagnie il n’a que sa vieille gouvernante et cet oiseau. » D’un signe de tête, j’indiquai le faucon qui s’était endormi sur son perchoir. Wrenne revint avec un manteau chaud et épais mais beaucoup trop long pour moi. Je promis de le lui rendre dès le lendemain. Nous partîmes sous la pluie, curieux de savoir si le pauvre petit Green avait signalé une cachette dans le mur de la maison d’Oldroyd.
9.
NOUS MARCHÂMES LE LONG DE RURES SOMBRES ET VIDES, recrus de fatigue. L’air était plein des senteurs automnales : fumée de feu de bois et âcre odeur de feuilles mortes.
« Vous allez donc voir le roi ! s’exclama Barak en secouant la tête d’un air incrédule.
— Tu ne l’as jamais vu quand tu travaillais pour Cromwell ?
— Non ! s’esclaffa-t-il. Moi et mes pareils étions relégués aux venelles des bas-fonds.
— Tu aimerais le voir ?
— Oui. Pour pouvoir le raconter à mes enfants un de ces jours », répondit-il avec un sourire rêveur.
Surpris, je le dévisageai. Cet homme, qui semblait vivre au jour le jour, ne m’avait jamais parlé d’enfants auparavant.
« Peut-être pourrions-nous aider messire Wrenne à retrouver son neveu, dis-je. Tu pourrais t’enquérir de lui pour moi dans les écoles de droit.
— Le mieux est l’ennemi du bien… On risque de découvrir que ce neveu n’a aucune envie de revoir son oncle. » Le ton soudain amer de mon assistant me rappela qu’il refusait toute relation avec sa mère depuis qu’elle s’était remariée. La rupture avait été très douloureuse.
« C’est possible, mais on peut toujours essayer. Quelle tristesse que son enfant unique soit mort.
— C’est vrai. » Il se tut un instant. « Il a la langue bien pendue, messire Wrenne, poursuivit-il. Toutes ces tirades à propos des rois et des anciennes guerres !
— Ça me rappelle une discussion que j’ai eue avec Guy, juste avant notre
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