Sarah
lèvres sur le poignet d’Abram.
Il eut un rire narquois.
— Crois-tu vraiment qu’une fille de
Puissant d’Ur puisse quitter la ville, la maison de son père, sans qu’on la
recherche et la punisse ?
Ce fut comme s’il lui avait versé de l’eau
froide sur le corps. Les larmes et la colère chassèrent son bonheur avec la
violence d’un coup. Elle dévala la dune, se recroquevilla sur la peau de
mouton. Elle fit un effort pour ravaler ses pleurs. Quand il s’agenouilla derrière
elle et posa les mains sur ses épaules, elle voulut se lever pour le gifler.
Elle ne fit que s’appuyer contre lui avec une plainte, agrippant ses bras pour
les serrer de toutes ses forces contre sa poitrine. C’est ainsi qu’ils
s’écroulèrent côte à côte, le visage enfoui dans les poils de la peau de
mouton. Sans plus bouger.
— Pardonne-moi, chuchota Abram à son
oreille. Il n’y avait pas de méchanceté dans mes propos. Je ne voudrais pas
qu’on te fasse du mal. Si demain tu veux encore fuir, je t’aiderai.
Elle voulut demander pourquoi il ferait
cela, mais pas un mot ne franchit ses lèvres. Il suffisait qu’il soit serré
contre elle, qu’elle respire son étrange odeur, sente la chaleur de son corps
et de son souffle sur sa nuque… Pas plus.
Et comme ils ne bougeaient plus ni l’un ni
l’autre, le trouble effaça les larmes. Les paumes d’Abram pressées contre ses
seins lui semblèrent soudain brûlantes. Brûlantes comme l’était la pointe de
ses seins. Contre ses fesses, Saraï perçut le sexe d’Abram qui gonflait. Le tremblement
qui creusait son ventre n’avait rien à voir avec la peur ou la colère. Le
souvenir lui vint de celui qui avait failli être son époux empoignant le sexe
du taureau sculpté sur le plateau nuptial. C’était encore son jour d’épouse. Sa
nuit d’épouse. Elle eut le désir de tendre la main et de saisir le membre
d’Abram. De se retourner et de poser ses lèvres sur sa si belle bouche.
Abram à cet instant dénoua son étreinte et
s’écarta d’elle en disant qu’ils devaient dormir. Que demain elle aurait besoin
de toute son énergie.
Il attrapa la seconde peau pour les
recouvrir, s’installa à plat dos, lui offrant son bras étendu comme oreiller.
Quand elle y posa sa tête, il murmura :
— Tu sens bon. Jamais je n’ai senti un
si bon parfum sur une fille. Je sais que je me souviendrai toujours de ton
odeur. De ton visage aussi, je me souviendrai toujours.
Ce fut comme si ces mots absorbaient la
brûlure du désir. Un instant plus tard, la fatigue emportait brutalement Saraï.
Elle s’endormit sans savoir si elle avait embrassé Abram pour de bon ou si elle
avait rêvé.
Quand elle se réveilla, elle était seule
entre les peaux de mouton. Des soldats l’entouraient, javeline et bouclier à la
main. Leur chef s’agenouilla devant elle et lui demanda si elle était la fille
d’Ichbi Sum-Usur, le Puissant d’Ur.
L’herbe de sécheresse
La colère d’Ichbi Sum-Usur dura quatre
lunes. Durant tout ce temps, il interdit que l’on prononce le nom de Saraï. Il
interdit à quiconque de croiser son regard, de manger en sa compagnie, de rire
ou se parfumer avec elle. Il interdit qu’elle se tresse les cheveux, se déplace
sans un voile sur la tête, qu’elle se maquille de khôl et d’ambre et qu’elle
porte des bijoux.
Toutes interdictions que Sililli dut
observer à la lettre, elle qui demeurait toujours sa servante. Elle reçut en
outre l’ordre de surveiller Saraï nuit et jour. Ichbi Sum-Usur lui
précisa :
— Si cette fille à nouveau quitte
cette maison sans mon autorisation, tu mourras. Je te pendrai par les pieds, je
t’ouvrirai le ventre et j’y déposerai des scorpions.
Saraï ne trouva pas que des inconvénients à
ces punitions. Ainsi n’eut-elle pas à supporter les regards apitoyés ou furieux
de ses tantes, à subir les bavardages pleins de sous-entendus de ses sœurs ou
des servantes.
Il lui fallut tout de même, une semaine
durant, subir les jérémiades et les reniflements de Sililli le soir dans son
lit aussi bien qu’au réveil, à peine l’aube venue, et l’entendre sangloter en
priant la Toute-Puissante Inanna pour son pardon.
Saraï dut également assister, sous les yeux
de ses ancêtres et de tous les membres de la famille présents dans la maison,
au sacrifice de sept brebis. Elle dut faire dans le temple mille ablutions, se
laver et se purifier encore et encore.
Sililli et Égimé
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