Sarah
ni reçu. L’un comme l’autre, ils étaient demeurés purs. Et si son père
avait de bonnes raisons, lui, d’être furieux, Saraï n’avait en rien outragé les
dieux. Ils n’avaient aucune raison de se fâcher. Elle le sentait.
Elle le sentait au plus profond de son
ventre en faisant ses offrandes à Nintu, sage-femme du Monde.
Elle le sentait au plus profond de sa
poitrine en faisant ses prières à Inanna, la Toute-Puissante.
Parfois elle pensait que la punition des
dieux pouvait revêtir une forme bien différente de celle qu’imaginaient les
femmes de la maison. Être, par exemple, cette douleur qui la tourmentait chaque
jour un peu plus, ce manque de n’avoir justement pas reçu sur ses lèvres la
douceur des lèvres du mar.Tu Abram. Une douleur douce et presque
apaisante, dont il fallait protéger le secret, n’était-elle pas une
punition ?
Aussi, lorsqu’elle sortit de la chambre
rouge, lorsque chacun la vit errer avec mélancolie dans la maison et le jardin,
toujours modeste, sans jamais la moindre rébellion, chacun crut que la fille
d’Ichbi Sum-Usur était sur la voie de la repentance.
Les semaines passèrent. Deux fois encore
Saraï alla dans la chambre rouge. Égimé s’y montra moins distante et ses jeunes
tantes, si elles ne croisaient toujours pas son regard, n’hésitèrent plus à
bavarder avec elle comme autrefois, et même à la complimenter pour son ouvrage,
tant elle savait maintenant carder et filer la laine avec dextérité.
Sililli observa ce changement avec une joie
qu’elle ne dissimulait plus. Saraï lui avait d’ailleurs obéi à la lettre :
depuis le soir de sa confession, jamais il n’avait été question du mar.Tu. Aussi,
après bien des lunes de patience, alors qu’une pluie diluvienne d’hiver
cloîtrait chacun dans sa chambre, elle déclara soudain :
— Ton père est content de toi. Il
t’observe depuis des jours. J’ai vu à son visage qu’il n’est plus fâché. Je
suis sûre que bientôt il te pardonnera.
Saraï esquissa à peine un hochement de tête
pour signaler qu’elle avait entendu. C’est bien plus tard qu’elle demanda,
d’une voix égale :
— Tu crois que mon père pense à me trouver
un nouvel époux ?
Dans la pénombre de ce jour éteint par la
pluie, le sourire de Sililli jaillit, plus lumineux qu’un arc-en-ciel.
— Tout le monde ici ne veut que ton
bien !
*
* *
Cette fois, elle s’était beaucoup mieux
préparée. Une toge comme on en portait pour visiter les grands temples, un
panier à offrandes avec des fleurs, une coiffure qui pouvait la faire passer
pour une servante. Elle n’avait rien laissé au hasard. Elle avait même suspendu
autour de son cou un petit sac de tissage contenant pour trois sicles d’anneaux
de cuivre et d’argent, au cas où il lui faudrait négocier l’inattention des
gardes. Elle s’en sentait capable, aussi forte et déterminée qu’un soldat
devant la ligne hérissée des lances ennemies.
Elle avait quitté sa chambre avant l’aube,
alors que Sililli dormait à poings fermés. Elle avait patienté ensuite dans le
jardin, tout près des bassins, les franchissant dès que la lumière du jour le
permit. Elle se dirigea sans se tromper vers le mur d’enceinte. Les rues
étaient presque vides. Il ne pleuvait plus mais la ville sentait encore la
poussière humide et les briques des murs étaient plus sombres que d’ordinaire.
Les gardes venaient d’ouvrir les portes de la cité royale et les premières
charrettes de nourriture en franchissaient l’entrée.
Les soldats la regardèrent venir de loin.
Elle s’aperçut bien vite qu’ils la prenaient pour ce qu’elle voulait : la
servante d’une bonne maison de la ville basse, de retour des temples après y
avoir passé la nuit et qui rapportait des fleurs sacrées. Les yeux encore
gonflés par les heures de veille, ils se montrèrent tout heureux de voir une
jolie fille de si bonne heure et répondirent à son sourire par un salut
familier.
Une fois dans la ville basse, Saraï marcha
vite. Elle se perdit une ou deux fois, mais c’était sans importance. Il lui
suffisait de reprendre la direction du fleuve.
Il lui sembla parvenir à la lagune de
roseaux à l’endroit où elle avait rencontré Abram. Les mêmes maisons misérables
à demi détruites, les mêmes terrains sablonneux, tantôt en friche, tantôt
plantés de melons et d’herbes odorantes. Pourtant, il lui fallut remonter le
fleuve pendant des ùs avant
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