Sarah
ils se retourneront tous contre toi.
Saraï resta silencieuse un moment encore,
puis hocha la tête :
— Je vais aller voir Abram et tout lui
dire. Ce que pensent les autres, je m’en moque. Mais ce qui n’est pas bien,
c’est que je n’ai pas encore eu le courage de lui avouer la vérité.
— Songe aux conséquences… Il te
répudiera. Ou prendra une concubine. Tu ne seras plus rien. Même s’il choisit
une servante, quand elle aura sa semence et son enfant dans le ventre, ce sera
elle la mère. Toi, tu ne seras plus rien. C’est ainsi que les choses se
passent. Le mieux serait que tu défasses ce que tu as fait. Je peux trouver des
herbes, on peut essayer de faire revenir ton sang.
— Combien de sortes d’herbes m’as-tu
déjà fait prendre ? Et sans autre effet que de me faire courir les
buissons ?
— On peut essayer encore. On m’a parlé
d’une kassaptu puissante qui habite au bord de la ville…
— Non. Je ne veux plus de magie. Et tu
te trompes. Abram n’est pas comme les autres hommes. Il aime la vérité. Je lui
dirai pourquoi mon ventre est sec. Par amour pour lui, depuis le premier regard
entre nous. Il comprendra.
— Ce serait bien la première fois
qu’un homme comprendrait la peine d’une femme ! Qu’Inanna, notre Puissante
Mère la Lune, puisse t’entendre.
*
* *
Le cœur lourd, Saraï alla remplir un panier
de ses pains, d’une gourde d’eau fraîche et d’une autre de bière. Elle ajouta
des raisins et des pêches, recouvrit l’ensemble d’un fin tissu de lin tissé par
ses soins. Depuis qu’elle vivait parmi les mar.Tu, c’était un des gestes
qu’elle avait appris à aimer. En cet instant, pourtant, le simple fait de
suspendre le panier à son bras lui serra la gorge.
Songeant aux regards posés sur elle, elle
se redressa, quitta le campement d’un pas assuré, répondant aux sourires et aux
appels comme elle en avait l’habitude.
De loin, elle vit un groupe d’enfants
rassemblés autour de Loth. Malgré sa détresse, une pensée attendrie et moqueuse
lui vint. Nul doute que Loth avait réussi à imposer le respect aux autres
garçons. Nul doute non plus qu’elle éprouvait pour le neveu d’Abram la
tendresse et la fierté orgueilleuse qu’une mère ressent pour son fils
bien-aimé.
Elle descendit vers la rivière jusqu’à
l’atelier de Terah. Depuis leur arrivée à Harran, Abram y travaillait avec son
père. Le feu grondait dans le four cylindrique deux fois haut comme un homme.
Les aides de Terah y jetaient de grosses bûches par une lucarne où l’on voyait
les flammes danser. Bien qu’ils ne fussent vêtus que d’un pagne, la chaleur
était telle que leurs torses ruisselaient de sueur.
Saraï hésita à s’avancer : Terah
n’aimait guère que les femmes pénètrent dans l’appentis où il conservait les
statues des dieux pour les polir et les peindre avant de les emporter chez ses
clients. Elle héla l’un des aides, demanda qu’on appelle Abram. L’aide lui
appris qu’Abram n’était pas là. Il avait quitté l’atelier tôt ce matin et personne
ne l’avait revu depuis.
Saraï songea aussitôt à une nouvelle
dispute avec Terah.
— Sais-tu où il est parti ?
L’aide posa la question à ses compagnons.
Ils désignèrent un sentier qui traversait la rivière et remontait la pente
opposée jusqu’à un haut plateau où l’on faisait paître les troupeaux. Elle
remercia et, sans hésiter, elle s’y engagea à son tour.
Elle traversa la rivière où l’on avait jeté
des troncs d’arbre en guise de pont, certaine que le regard de Terah la suivait
depuis la porte de l’appentis. Elle pressa le pas, anxieuse de rejoindre son
époux.
Tout en montant le sentier jusqu’au
plateau, elle tenta de former les phrases qu’il lui faudrait prononcer devant
Abram. Cela faisait presque vingt lunes qu’elle était son épouse. Vingt lunes
qu’elle avait fui le grand temple d’Ur. Des lunes de bonheurs et des lunes de
malheurs. Pourtant, elle n’avait jamais trouvé le courage d’avouer la vérité à
Abram. Maintenant, elle le devait. Elle ne pouvait plus reculer.
Elle marchait vite et parvint en haut de la
pente essoufflée, le cœur battant si fort que ses oreilles en bourdonnaient.
Aussi loin qu’elle pouvait voir, le plateau était vide. Aucun troupeau. Pas un
homme.
Elle s’avança jusqu’au grand sycomore qui
trônait, solitaire, au rebord du plateau. Son ombre était vaste et fraîche.
Abram venait
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