Sarah
de nom pour
s’adresser à moi et pour que je Le reconnaisse. Il n’a rien de commun avec ces
dieux dont nous modelons les visages ridicules pour les vendre aux Puissants
d’une ville et aux commerçants d’une autre.
Un murmure désapprobateur roula de bouche
en bouche. Terah leva une main.
— Ton dieu est sans visage ?
— Pas de visage et pas de corps.
— Alors, comment le vois-tu ?
— Je ne Le vois pas. Nul humain, nul
animal vivant sur cette terre ne peut Le voir. Il ne brille pas, Il n’a ni toge
d’or ni diadème. Pas de griffes, d’ailes, de mufle de lion ou de taureau. Il ne
possède pas la chair d’un homme ni les formes d’une femme. Il n’a aucun corps.
On ne Le voit pas.
— Comment sais-tu tout cela si tu ne
rencontres pas ton dieu ? Si tu ne le vois pas ?
— Il m’a parlé.
— Et comment peut-il te parler s’il
n’a ni visage ni bouche ?
— Parce qu’il n’a besoin d’aucun
visage pour parler. Parce qu’il est Lui.
Des rires moqueurs fusèrent derrière Terah.
Loth se serra plus fort contre Saraï. Les femmes n’hésitaient plus à
s’approcher et à écouter. Terah rit à son tour. D’une voix plus forte, il
lança :
— Voilà ce qu’il nous arrive :
mon fil Abram a vu son dieu aujourd’hui, mais son dieu n’a ni chair ni
corps ! Il est invisible !
— C’est ainsi qu’est le Dieu unique à
l’origine de ce qui vit, ce qui meurt et ce qui est éternel, lança Abram à son
tour, sans relever la moquerie.
— Tu as entendu les paroles d’un rêve,
ou un démon s’est amusé avec toi, déclara un vieil homme qui s’était avancé au
côté de Terah.
— Les démons n’existent pas, répliqua
patiemment Abram. Il y a le mal et le bien, le juste et l’injuste. C’est nous
qui faisons le mal et le bien. C’est toi et moi, nous, les hommes, qui sommes
justes ou injustes.
Cette fois, il y eut de la colère dans les
protestations. Tous s’écrièrent ensemble :
— Un dieu qu’on ne voit pas n’existe
pas !
— Un dieu qui ne brille pas est
impuissant !
— À quoi sert ton dieu s’il n’empêche
ni le mal ni l’injustice ?
— Et s’il ne nous donne pas la pluie
et ne nous protège pas de la foudre ?
— Qui fait germer l’orge ?
— Qui nous fait mourir ? Qui nous
rend malade ?
— Sans Nintu, comment feraient les
femmes pour enfanter ?
— Tu déraisonnes, Abram. Tu insultes
tes ancêtres.
— Nos dieux aussi, tu les
insultes !
— Ils t’entendent, et moi aussi je les
entends. Déjà leur colère gronde, je le sens.
— Ils vont se venger sur nous de tes
paroles.
— Qu’ils nous pardonnent ! Qu’ils
nous pardonnent d’être là à t’écouter !
— C’est toute la tribu de ton père que
tu mets en danger, Abram.
— Terah, demande à ton fils de se
purifier !
— Condamne ton fils, Terah, ou le
malheur va tous nous recouvrir…
Abram hurla en étendant les bras.
— Écoutez-moi !
Saraï crut que lui aussi était gagné par la
colère. Mais elle vit ses lèvres, ses yeux. Elle sut qu’il demeurait calme et
sûr de lui. Il s’avança, et, plus que son cri, ce furent ce calme et la dureté
de son visage qui rétablirent le silence.
— Vous voulez une preuve que le Dieu
unique existe ? Qu’il m’a parlé et appelé par mon nom ? Je suis cette
preuve, moi, Abram, celui qu’il a appelé aujourd’hui. Demain à l’aube, comme Il
me l’a demandé, avec Saraï, mon épouse, Loth, le fils de mon frère Harân, mon
troupeau et mes serviteurs, je marcherai vers l’ouest. Vers le pays qu’il va me
faire découvrir.
Le silence retomba, comme si chacun
cherchait à percer l’énigme de ces paroles. Puis des ricanements jaillirent ici
et là. Une femme s’exclama :
— Voilà une belle preuve !
L’homme qui n’est même pas père s’en va. Grand bien lui fasse !
Saraï vit les lèvres d’Abram s’amincir. La
main de Loth dans la sienne frissonnait et brûlait. Abram s’avança encore. On
recula devant lui, chacun prenant garde à se tenir à bonne distance.
— Alors, je vais vous en donner une
autre, de preuve ! gronda-t-il.
Sous les regards stupéfaits, il bondit dans
l’atelier de Terah et en ressortit les bras chargés de deux grandes statues,
parfaitement achevées, peintes et vêtues. Saraï comprit immédiatement ce qu’il
allait faire. Le froid de la peur se glissa dans ses reins et sa bouche
s’assécha. Tout autour de Saraï retentit un
Weitere Kostenlose Bücher