Sarah
ses paumes. Un geste identique à celui qu’il avait eu la toute première
fois, au bord du fleuve, à Ur, la nuit de leur rencontre. Cette fois, il posa
ses lèvres sur les siennes. Un long baiser, plein de fougue, de puissance et de
désir. Un baiser de pur bonheur.
Quand ils se séparèrent, Saraï demanda en
riant :
— Mais qui ? Qui t’a
appelé ? De qui parles-tu ?
— De Lui !
La main d’Abram se dressa, désigna
l’horizon, les montagnes et les vallées. La terre comme le ciel.
— Lui ? insista Saraï sans
comprendre.
— Lui, le Dieu unique ! Mon
Dieu !
Sarah aurait aimé l’interroger encore. Qui
lui avait parlé, au juste ? À quel dieu ressemblait ce dieu unique ?
Et quel était son nom ? Mais les mains d’Abram tremblaient. Il tremblait
tout entier, lui, Abram, l’homme le plus robuste de la tribu de Terah !
Alors Saraï serra ses doigts autour des siens.
— Il m’a dit : « Va !
Va, sors de ce pays…» Nous allons partir, Saraï. Dès demain.
— Partir ? Pour où ? Abram…
— Non, pas maintenant ! Plus
tard, les questions. Viens, je dois parler à mon père. Je dois leur parler à
tous.
Sa main dans la sienne, il entraîna Saraï vers
le sentier qui rejoignait la rivière et l’atelier de Terah.
Saraï comprit qu’elle ne pourrait pas
révéler sa vérité à Abram. Pas aujourd’hui. Et pas demain. Il n’avait pas
besoin de l’entendre. Et ils se trompaient tous, Terah, Tsilla, Sililli et elle-même.
La colère et l’humeur amère d’Abram, ces derniers temps, ne venaient pas de son
ventre plat.
Abram se campa devant l’atelier. À le voir,
chacun sut que ce qu’il avait à dire était important. Un aide alla chercher
Terah qui faisait ses offrandes du soir à ses ancêtres. Avec lui, d’autres
hommes et des femmes descendirent au bord de la rivière. Les enfants cessèrent
de jouer et s’approchèrent à leur tour.
Loth, le front toujours enturbanné, vint
prendre la main de Saraï, un peu en retrait. Il leva les yeux vers elle. Elle y
lut l’inquiétude que l’on discernait sur tous les visages. Tous pensaient
qu’Abram avait décidé d’affronter son père pour prendre la tête de la tribu.
C’est pourquoi ils furent stupéfaits lorsqu’il commença à parler.
— Père, aujourd’hui le Dieu Très-Haut
m’a appelé. J’étais ici, avec vous tous, préparant le four, lorsque j’ai senti
un cri dans l’air. Mais avec le bruit que nous faisions en brisant le bois, je
n’entendais pas. Je suis monté sur le plateau. J’ai marché. Et soudain, j’ai
entendu : « Abram ! » On appelait mon nom. Il était
dans l’air tout autour de moi, crié par une voix puissante que je ne
connaissais pas. « Abram ! » Une seconde fois mon nom.
J’ai dit : « Je suis là ! C’est moi, Abram. » Il n’y eut
pas de réponse. Alors j’ai marché. Je suis descendu vers la vallée qui rejoint
Harran par le nord, et tout à coup la voix a été partout. Dans l’air, les
nuages, l’herbe et les arbres, jusque dans le profond de la terre. Sur la peau
de mon visage. Elle lançait mon nom : « Abram ! » J’ai su qui parlait. J’ai crié à nouveau : « Je suis là ! C’est
moi, Abram ! » La voix a demandé : « Sais-tu qui je
suis ? J’ai répondu : « Je le crois. » Il a dit :
« Abram. Quitte ce pays, quitte la maison de ton père, marche vers le
pays que je te ferai découvrir. Je ferai de toi une grande nation, je rendrai
grand ton nom. Je bénirai ceux qui te béniront, ceux qui t’insultent, je les
maudis. Ainsi, par toi, seront bénies toutes les familles de la terre. » Voilà Ses paroles, père. Je suis revenu devant toi pour te les dire, car je
veux que tu saches pourquoi je vais te quitter.
Abram se tut. Le silence s’appesantit.
L’inquiétude remplaça la surprise sur les visages. Ainsi le fils voulait
s’éloigner du père en reniant ses ancêtres ? Tous guettaient la réaction
de Terah. Le vieil homme semblait fatigué bien que la colère brillât entre ses
paupières. Il passa la main dans l’épaisseur de sa barbe et demanda :
— Tu dis : « Voilà Ses
paroles. » De qui parles-tu, mon fils ?
— Du Dieu unique, Créateur du Ciel et
de la Terre, qui est le dieu d’Abram.
— Comment s’appelle-t-il ?
Abram ne put retenir un rire sans orgueil,
sincèrement amusé. Il secoua la tête.
— Il n’a pas dit Son nom, père.
— Pourquoi ?
— Il n’a pas besoin
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