Satan à St Mary le bow
point tel que Corbett la soupçonna d’être une « Populare », une radicale, partisane du défunt Montfort. Cela ne surprit pas trop Corbett. Ils étaient nombreux dans la ville et leur courant avait même atteint certains de ses amis et collègues de la Chancellerie et de l’Échiquier, bien que Montfort fût mort quelque vingt ans auparavant, son corps déchiqueté et livré aux chiens.
Bien sûr, Corbett et Alice devinrent amants, un baiser d’abord, un enlacement, un repas tard le soir après la fermeture de la taverne. Puis, presque comme s’ils avaient été mari et femme depuis des années, Alice prit Corbett par la main et le mena à sa chambre, une chambre vaste, presque autant qu’une pièce de réception, dotée de grands bahuts et coffres, d’une table et de sièges sur le plancher de bois poli couvert de tapis de laine. Les murs étaient d’un vert parsemé d’étoiles dorées et de petites têtes d’hommes et de femmes. S’y trouvaient de légers braseros couverts et des rameaux fraîchement coupés pour parfumer la pièce. Alice l’entraîna vers un immense lit bas ; puis, lui tournant le dos en minaudant, elle se défit de sa robe, en la passant par-dessus la tête, enleva chausses et jupons, pour se retrouver nue au milieu d’un fouillis de dentelles. Corbett sourit en voyant qu’elle n’avait pas ôté ses petits gants de soie noire et s’apprêtait à en enlever un lorsqu’elle arrêta doucement son geste et commença à le déshabiller pendant qu’il admirait son mince corps de Vénus.
Corbett n’avait jamais rencontré autant d’ardeur ni d’habileté. Ses lèvres cherchaient les siennes tandis qu’elle l’attirait et l’entraînait dans un sombre tourbillon de passion jusqu’à ce que finalement leurs corps étroitement enlacés s’abandonnent au profond sommeil sans rêves des amants. Le lendemain, lorsque Corbett se réveilla, elle était déjà debout et habillée, fraîche et radieuse comme une jeune mariée. Elle s’assit sur le lit, à côté de lui, riant et le taquinant avant de disparaître quand il la menaça de recommencer la séance de la nuit. Au plus profond de lui-même, Corbett savait que leur idylle ne pourrait pas durer. L’énorme géant, Peter, l’incendiait du regard chaque fois qu’il entrait dans la taverne, et les « protecteurs et agents » d’Alice le surveillaient de près. Ils n’essayaient pas de l’approcher ; et lui faisait de même. En fait, Alice faisait tout pour les tenir éloignés. Corbett ne s’en souciait pas, mettant leur malveillance silencieuse sur le compte de la simple envie et de la jalousie.
Le chancelier Burnell, cependant, lui envoyait lettre sur lettre, exigeant sur un mode brusque et sec des rapports sur les progrès de l’enquête. Corbett ne répondait jamais, espérant secrètement que l’affaire cesserait et tomberait dans l’oubli, et il s’étonnait que le principal ministre du roi s’intéressât encore au suicide d’un petit homme pitoyable comme Duket. Ce fut Couville qui lui rappela brusquement son devoir. Une nuit, quelques semaines après sa rencontre avec Alice, il retourna chez lui à Thames Street et y trouva une sacoche en cuir qui l’attendait. La propriétaire murmura qu’on l’avait apportée dans la journée même. Corbett l’emporta dans sa chambre et, brisant le sceau, en sortit un vieux parchemin assez long et une note d’explication de Couville qu’il jeta sur le lit. Puis il s’assit et déroula le parchemin jauni, aux bords fendillés et effilochés. La belle écriture normande’, bien que presque effacée, était encore lisible. Il passa rapidement sur les formules fleuries habituelles, notant toutefois que c’était un rapport d’un des assistants du shérif de Londres au chancelier d’Henri II {19} . Regardant à la fin, Corbett vit la date au-dessus du vieux sceau fendillé : Écrit à la Tour en ce 2 décembre de la vingt-huitième année de règne, ce qui, calcula-t-il rapidement, voulait dire en 1182. Il prit sa propre écritoire et se mit à transcrire le contenu du rapport :
Au début de l’été de cette année, un certain William Fitz-Osbert, traître et homme de mauvaise vie, commença à rassembler des gens en une secte liée à Satan et rejetant le fils de Marie, comme ils appelaient le Christ, notre Sauveur. Ce suppôt de Satan organisait des sabbats hors les murs de la cité et même, profitant de l’absence de notre bon roi Henri, dans
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