Satan à St Mary le bow
intactes. On serait tenté de penser, pourtant, qu’un homme qui se sent lentement étranglé par une corde essaie au moins, dans son agonie, d’agripper cette corde et peut-être même de la desserrer.
Enfin, et c’était le point le plus important, pensa Corbett, comment Duket avait-il pu se pendre en montant sur la cathèdre ? Il avait pris les mesures du corps de Duket et les avait comparées avec celles — approximatives — qu’il avait relevées à St Mary-le-Bow. Un enfant aurait vu la différence. Duket était trop petit pour atteindre la barre. Bien sûr, il aurait pu lancer la corde par-dessus la barre, mais alors comment aurait-il pu faire un noeud solide ? Corbett repensa à ces bleus sur les bras de Duket. Non, conclut-il, la seule explication possible était que Duket ne s’était pas suicidé à St Mary-le-Bow, mais qu’on l’avait pendu de façon à faire croire à un suicide. Quelqu’un avait attaché la corde à la barre et mit le noeud coulant autour de son cou avant de retirer la cathèdre, de lui tenir les bras derrière le dos et de le tirer vers le bas afin de hâter sa mort. D’où ces bleus sur les bras. Corbett fit un rapide calcul. Au moins deux ou trois personnes étaient impliquées dans ce crime. Mais pourquoi Duket n’avait-il pas appelé au secours ? Comment les assassins étaient-ils entrés dans l’église ? Et comment en étaient-ils sortis ? Corbett soupira et écrivit ses conclusions : Lawrence Duket avait été assassiné en l’église St Mary-le-Bow par des inconnus, pour des raisons inconnues et d’une manière inconnue. Il lâcha sa plume et contempla ses conclusions sans grande valeur tandis que ses pensées s’envolaient vers La Mitre et la beauté ensorcelante d’Alice-atte-Bowe.
CHAPITRE VII
Naturellement, Corbett retourna à La Mitre les jours suivants. Il venait très ostensiblement « en mission officielle », mais sa vraie raison était Dame Alice. L’énorme géant et ses compères n’étaient pas dupes et Dame Alice non plus. Corbett s’en moquait ; il se sentait revivre en sa présence, délivré de la Chancellerie, de la routine quotidienne et du poids de la tâche qu’on lui avait confiée. Quelquefois il restait assis dans la grand-salle ou dans la petite pièce, mais quand le temps se mettait au beau, ils se promenaient tous deux dans le jardin. Alice faisait pousser des simples, de la sauge, du persil, du fenouil, de l’hysope aussi bien que des poireaux, de la ciboulette et des oignons. Il y avait un poirier qui montrait les prémices d’un printemps précoce, une belle pelouse aux parterres soignés qui donneraient, d’après Alice, une abondante moisson de roses, de lis et d’autres fleurs quand arriverait l’été.
Alice raconta sa vie d’avant : sa jeunesse d’orpheline, pupille de parents lointains et âgés, son mariage avec Thomas-atte-Bowe, son veuvage précoce et sa lutte constante dans l’âpre bataille du négoce en vins de Bordeaux et de Gascogne. Elle s’intéressait à la politique et jugeait avec discernement l’attitude du roi Édouard envers les Capétiens dont l’éventuelle intervention en Gascogne et les revendications de suzeraineté sur le duché pouvaient plonger les deux pays dans la guerre et ainsi ruiner le commerce du vin et ses propres bénéfices. Elle parlait de l’énorme géant et des autres hommes qu’avait vus Corbett dans la taverne comme de « ses agents et protecteurs ». Elle se mettait à questionner doucement Corbett sur « la mission officielle » dont il était chargé, mais changeait vite de sujet, comme si cela était trop ennuyeux ou trop pénible à écouter.
Corbett passait des heures à la taverne. Il parla comme jamais auparavant de ses études à Oxford, et son travail de clerc, de son passage dans l’armée, de son épouse Mary et de son enfant disparus en un rien de temps, enlevés par la peste. Il put exprimer enfin sa souffrance comme si Alice était son confesseur et perçait à jour tous les secrets de son esprit. Quelquefois, il se contentait de jouer sur sa flûte des mélodies solennelles, des chansons d’amour ou des pastourelles et des gigues pendant qu’Alice dansait et virevoltait. Son corps souple et svelte bougeait et tournait en cadence jusqu’à ce que tous deux eussent le souffle coupé soit par le rire soit par le rythme de la musique. Ils se rassasiaient alors de mets réputés pour leur délicatesse et leur fumet : courgettes au
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