Satan à St Mary le bow
les cadavres de chats, de chiens, de nouveau-nés indésirables ainsi que les corps des condamnés et des suicidés. Pour finir, les deux hommes tombèrent d’accord sur un endroit précis et se mirent à creuser ; mais, après quelque temps, ils en choisirent un autre qu’ils retournèrent, tout en s’invectivant mutuellement et en maudissant leur tâche et les clercs trop curieux, avec des regards furieux à l’adresse de Corbett. Celui-ci leur tourna le dos et se mit à contempler les champs encore gelés jusqu’à ce que des cris et des appels le fissent revenir vers le fossé.
— Ils ont trouvé le cadavre, Messire ! s’écria le bailli. Venez voir !
Corbett s’avança en remarquant que le visage du bailli était verdâtre et que même les ouvriers s’étaient éloignés.
La forme empaquetée qu’ils avaient déterrée reposait sur le bord du fossé. Corbett prit son poignard et, se couvrant fermement le nez et la bouche de sa cape, se mit à découper la toile grossière et visqueuse. Le corps était tel qu’il avait dû être avant qu’on l’enveloppe et le traîne par les rues sur un misérable charreton pour être enterré dans la boue et la fange de la fosse. Il était nu, à l’exception d’un pagne. Corbett soupçonna le bailli et ses hommes de l’avoir dépouillé de ses vêtements et de ses bijoux. La puanteur, même après quelques jours, était intense, insoutenable, et Corbett dut refréner des haut-le-coeur lorsqu’il examina le cadavre. Les yeux étaient clos, mais la bouche béait, la langue encore prise entre les dents, la peau boursouflée était livide et froide, le ventre légèrement gonflé. Il observa la trace rougeâtre autour du cou et l’ecchymose violacée juste derrière l’oreille gauche, causée par le noeud de la corde. Il n’y avait aucun autre signe de violence sur le corps, à part deux légers bleus sur les bras juste au-dessus des coudes. Corbett prit bonne note de la taille du mort, puis se releva avec un soupir de soulagement. Le bailli s’approcha.
— Avez-vous fini ? demanda-t-il. Corbett fît signe que oui.
— Vous pouvez l’enterrer maintenant !
Le bailli se retourna et lança un ordre à ses hommes. En quelques minutes, le corps fut rejeté dans la fosse et recouvert de boue. Corbett ramassa un bout de bois, le cassa en deux, lia les morceaux avec de la corde pourrie pour faire une croix rudimentaire qu’il planta à l’endroit où était enterré Duket. Le bailli protesta.
— Cet homme s’est suicidé ! bafouilla-t-il. Il n’a pas droit à une sépulture religieuse !
— Cet homme ne s’est pas suicidé, rétorqua Corbett, épuisé par la journée. Et l’aurait-il fait, c’était quand même un homme.
Il plongea la main dans sa bourse et tendit quelques pièces.
— Votre tâche est terminée. Vous pouvez aller.
Le bailli allait soulever une objection, mais il vit le visage tendu du clerc et se rappela l’importance de son ordre de mission ; il garda le silence, empocha les pièces et, rappelant ses hommes, s’éloigna péniblement vers la ville.
Corbett les regarda partir et après avoir affermi la pauvre croix, il commença à réciter la prière des morts : « Du fond des ténèbres, je crie vers Toi, ô Seigneur ! Ô Seigneur, entends ma voix ! » Une corneille le survola en lançant son cri rauque, et Corbett se demanda — ce n’était pas la première fois de sa vie — si sa prière avait été entendue et si oui, si cela avait vraiment de l’importance.
De retour chez lui un peu plus tard, Corbett sortit écritoire, encrier, plume, pierre ponce et rouleau de parchemin grossier. Il nettoya méthodiquement le parchemin rugueux pour en faire quelque chose de lisse avant de commencer à écrire soigneusement les conclusions auxquelles il était arrivé en examinant le corps de Duket.
D’abord, le cadavre portait les marques habituelles de la pendaison : la trace rouge et profonde de la corde autour du cou, et puis l’ecchymose violacée ou pourpre sous l’oreille gauche. Mais ensuite, que signifiaient ces bleus sur les bras, juste au-dessus des coudes ? Qu’est-ce qui les avait provoqués ? Corbett posa sa plume. Ces marques auraient pu, pensa-t-il, provenir de la rixe entre Duket et Crepyn dans Cheapside, mais cela aurait été une coïncidence extraordinaire si Crepyn avait réussi à frapper Duket au même endroit sur les deux bras ! De plus, les paumes de Duket étaient blanches,
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