Septentrion
femme qu’on prend entre ses bras n’est-elle pas la même que celle qui est assise à cheval sur le siège, grattant peut-être du bout de l’ongle un point noir sur sa cuisse nue pour passer le temps ? Comment se conduit-elle, seule avec elle-même entre les quatre murs, la chasse d’eau au-dessus de sa tête ? Quelles manies a-t-elle dans cette position, quelles grimaces ou quels vices bénins ? Voici un des aspects de cette femme, et pas le moins concluant, dont vous serez toujours privé.
Sans rien à lire pour m’occuper, enfermé dans le réduit, je laissais vagabonder ma pensée à son gré sur mille petits faits réjouissants d’ordre divers, tel le souvenir d’une paire de jambes de femme impeccablement calquées dans les bas couleur chair, rencontrées le matin même ou la veille en me rendant au travail. Jambes fermes. Jeunes. Modelées. En tout point parfaites. Excitantes. Le dessin du muscle long jouant à chaque pas, tendu à hauteur du mollet. Noué. Relâché. Mouvant. Profitant de sa souplesse. De sa vie. Morsure sous la chair. Ligne frissonnante et dure qui ébauche des ombres et des reliefs mobiles, fuyants, à peine imprimés dans la peau. Sursaut nerveux du col des bêtes échauffées qui va se perdre en glissant sous la jupe. Ce qui, une fois de plus, aiguille infailliblement l’imagination vers la touffe et le petit con inconnu qui vous échappe parmi tant d’autres, transbahuté dans le mouvement de la marche rapide, reposant, paupières closes, comme un œil assoupi, sur le fond renforcé de la culotte légère. De quoi a-t-il l’air, ce con de passage ? Belette des Andes ? Ramassé sur lui-même, ventripotent, obtus ou cocasse ? À moins qu’il ne s’agisse d’un de ces cons méditatifs qui, loin de somnoler, profitent du trajet qu’on leur impose et de l’air qui leur arrive par en dessous pour se souvenir tout à leur aise de certaines odeurs fluides connues d’eux seuls qui s’enchaînent automatiquement à des sensations précises de désirs, de jouissances ou de déceptions. Réminiscences personnelles du domaine connesque. Les images négatives défilant à une allure de rêve étiré dans une salle de projection clandestine en forme de pas de vis munie d’un dispositif d’alerte assuré par les deux lumignons ovariens. Jacinthes mauves allumées au bout du couloir. Un seul fauteuil au milieu de la salle. Rotatif devant l’écran circulaire. Et, prélassé sur le velours comateux, un seul spectateur bouche ouverte. Le con. Le con en personne, assistant, radieux, à sa propre odyssée.
À partir de là, l’imagination fait front à l’ouragan d’équinoxe d’automne avec influence des lunes et grandes marées submergeantes qui conviennent par excellence à l’embarquement sur les chalutiers de brume ou au repos dans la chaumière.
Ceci ou cela nous amenant à considérer les cabinets comme un lieu propice à la méditation. Ou à la simple rêverie, est-il besoin de le préciser ?
Il était néanmoins fort rare que je n’eusse pas un livre avec moi. C’est dans ces conditions d’inconfort que je plongeai pour la première fois dans Balzac avec la Peau de Chagrin, Jésus-Christ en Flandre, Melmoth réconcilié et l’Élixir de longue Vie. Et ce fut pareil pour l’hallucinante Maison des Morts dont je ne me rappelle plus comment il put arriver jusqu’à moi, mais que je ne consentis à lâcher qu’à la toute dernière ligne.
Quantité d’autres bouquins eurent comme lieu d’accueil ce décor inattendu. Je peux citer pour mémoire les Rousseau, les Zola, les Maupassant et deux ou trois livres de Virginia Woolf qui me laissèrent une impression de pelouses interdites. Posséder un livre de plus, le mettre dans ma poche et m’en aller avec à mon travail avait véritablement pour moi la valeur d’un symbole de puissance inaliénable. Le poids de conséquence d’un rite religieux.
Les livres me donnaient confiance. Sentiment assez indéfinissable. Ils représentaient une force sûre, un secours permanent. Toujours réceptif, un livre ! À la première lecture on a laissé une marque à telle ou telle page, le coin plié, c’est le passage qui répondait à une préoccupation, à un doute. Le dialogue est ininterrompu. D’autant plus vaste qu’on y ajoute tout ce qu’on veut. L’auteur n’a fait que poser les jalons indispensables. À vous de faire la tournée d’inspection.
La frénésie de lire me vint, je crois, vers les quinze
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