Septentrion

de sable blanc que les larrons de Christ devaient apercevoir, hissés au Golgotha, ravagés de douleur, lentement écartelés, ruisselants de sueur et de sang, l’âme déchirée d’entendre leur compagnon de potence supplier, réclamer, appeler son père comme un enfant éperdu qui a peur. Ils avaient avec eux, ce jour-là, un enfant fragile qui ne savait pas pourquoi il allait mourir. Tout leur semblait confusion, chaos. Il n’est pas dans l’ordre qu’un enfant soit crucifié au milieu des larrons. Peut-être le père allait-il venir et faire que ce néant de sable livide soit autre chose enfin qu’un mont pelé et pauvre. Ils se mirent à appeler, eux aussi, à glapir dans le vide, dans cette fournaise d’un après-midi étranglé de soleil. Ils se mirent à gueuler leur foi et, rugissants d’amour, ils prirent sur eux les péchés des vivants pour que l’enfant seul soit sauvé et qu’il y ait une fois au moins ce miracle de l’innocence. Mais rien ne vint. Il fallut bien se préparer à mourir dans l’aveuglement et les cris d’un enfant abandonné. Alors tous se résignèrent. Et rien non plus ne prit ensuite racine sur Golgotha muet. Les croix sont de bois mort. Le ciel, un instant peut-être, eut-il des entailles écarlates, mais la terre resta ferme et close. Indifférente.
    Et ce soir-là, les femmes de l’endroit, échauffées par tout ce sang de la journée, par toute l’horreur du jour, les femmes, transportées, ouvrirent larges leurs ventres, cuisses ceinturées, jambes nouées sur les reins solides de leurs fiers légionnaires, et ce ne fut pas la mort qui triompha, mais phallus, porteur du germe. Le sexe. Le Père accordait enfin sa Rédemption. Les larmes amères, les larmes de sel pouvaient être étanchées par un peu d’amour. Tout ici est pardon. Ce ne serait plus désormais que l’infernal bouillonnement des désirs. Cauchemar de la peau. Quel est ce hurlement qui se détache, intact, éclaté depuis le sexe cent fois frappé, bourrelé, limé cent fois dans la cadence mécanique de l’amour, blessé, fracturé, et qui se fraie un chemin, taillé net du ventre à la gorge, une plaie d’amour, bouleversant comme un orgue dans une cathédrale déserte, pour exploser enfin et naître dans un râle extatique, infiniment pur, infiniment magique, inégalable ? Plus émouvant qu’aucun autre chant au monde. Le seul cri de l’âme. Quelle plainte est-ce ? De quoi cette plainte s’approche-t-elle ? Profondeurs ou sommets ?
    Profondeurs et sommets, le sexe est mort et résurrection.
    Sur ce, bonsoir, j’en ai assez dit – ite missa est .

DU MÊME AUTEUR
    Récits
    RE QUIEM DES INNOCENTS , 1952, Julliard. Collection 10/18, 1980.
    PA RTAGE DES VIVANTS , 1953, Julliard.
    NO MAN ’ S LAND , 1963 , Julliard.
    SA TORI , 1968, Denoël.
    RO SA MYSTICA , 1968, Denoël.
    PO RTRAIT DE L ’ ENFANT , 1969, Denoël.
    HI NTERLAND , 1971, Denoël.
    LI MITROPHE , 1972, Denoël.
    LA VIE PARALLÈLE , 1974, Denoël.
    É PISODES DE LA VIE DES MANTES RELIGIEUSES , 1976, Denoël.
    CA MPAGNES , 1979, Denoël.
    É BAUCHE D ’ UN AUTOPORTRAIT , 1983, Denoël.
    PR OMENADE DANS UN PARC , 1987, Denoël.
    L ’ INCARNATION , 1987, Denoël.
    ME MENTO MORI , 1988, L’Arpenteur (Gallimard).
    RA G - TIME , 1972, Denoël.
    PA RAPHE , 1974, Denoël.
    LO NDONIENNES , illustration de Jacques Truphémus, 1985, Le Tout sur le Tout, Paris.
    DÉ CALCOMANIES , avec une lithographie de Pierre Ardouvin, 1987, Éd. Grande Nature.
    A . B . C . D . , Enfantines, illustrations de Jacques Truphémus, 1987, Éd. Bellefontaine, Lausanne.
    NU IT CLOSE , 1988, Éd. Fourbis, Paris.
    Théâtre
    MÉ GAPHONIE , 1972, Stock.
    CH EZ LES TITCH , suivi de TRAFIC , 1975, L’ Avant-scène.
    LE S MANDIBULES , suivi de MO , 1976, Stock.
    L ’ AMOUR DES MOTS , C.D.N. de Reims, J.-P. Miquel, 1979.
    TH ÉÂTRE INTIMISTE (Chez les Titch, Trafic, Les Miettes, Tu as bien fait de venir, Paul), 1980, Stock.
    LE S DERNIERS DEVOIRS , C.D.N. de Reims, J.-P. Miquel, 1983, L’ Avant-scène, 1983.
    AU X ARMES , CITOYENS  ! , baroquerie en un acte avec couplets, 1986, Denoël.
    Essai
    LE S SABLES DU TEMPS , 1988, Le Tout sur le Tout, Paris.
    Carnets
    LE CHEMIN DE SION (1956-1967), 1980, Denoël.
    L ’ OR ET LE PLOMB (1968-1973), 1981, Denoël.
    LI GNES INTÉRIEURES (1974-1977), 1985, Denoël.
    LE SPECTATEUR IMMOBILE (1978-1979), 1990, L’Arpenteur (Gallimard).
    UN E VIE , UNE DÉFLAGRATION , entretiens avec Patrick Amine, 1985, Denoël.