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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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toujours quelques pertinentes suggestions à apporter à votre travail sans avoir eux-mêmes rien fait qui vaille qu’on en parle. Apprêtez-vous à entendre les plus énormes chapelets de conneries qui puissent sortir d’une cervelle humaine. Autant de vains mots qu’il vous appartiendra de traduire à rebours si vous valez quelque chose. Le manuscrit que vous trimbalez sous votre bras fera fonction d’évacuation de toute la bile, de tous les ratages de ceux à qui vous le montrerez par faiblesse. Vous n’obtiendriez pas de meilleur résultat en ouvrant à fond le robinet de vidange.
    Ces étapes franchies, rentrez chez vous, prenez un bout de pain et de fromage, mangez de bon cœur, rotez de même, et si par bonheur vous avez une femme sous la main, tirez un coup posément, en toute liberté d’esprit : vous êtes sur la bonne voie. À quelques encablures du nouveau monde. La brise du matin ne manquera pas de vous pousser vers le goulet du port. C’est si naturel…
    Je me jetais sur les livres comme s’ils devaient nécessairement me livrer la clef de moi-même. Et la serrure avec. Lisant à bride abattue. Dans le métro. Dans la rue. Au bistrot. Dans mon lit. Sur les bancs des squares, au milieu des pigeons et des cris d’enfants, les soirs d’été ou le dimanche après-midi. Et jusque dans les chiottes des usines qui m’employaient, culottes baissées, accroupi au-dessus du trou, une branche nouvelle de marronnier en bourgeons ventrus se balançant au-dessus de ma tête sur le ciel blanc bleuté qui tapissait les claires-voies de la toiture.
    Quoi d’étonnant à ce que certains auteurs et leurs livres conservent pour moi une odeur de crésyl, de désinfectant, une odeur de merde humaine ? La mienne et celle de tous les ouvriers, apprentis, employés, bureaucrates, qui venaient chier dans ce lieu étroit, sombre, gluant sous le pied. Là où femmes et hommes se déculottaient plusieurs fois par jour. Poussaient leurs ventres. Vidaient leurs vessies. Examinaient une fois de plus le détail curieux d’une malformité secrète. Avaient des démêlés avec leur prostate. Leur constipation. Leur blenno. Ou bien, au contraire, se laissaient aller à caresser distraitement leur sexe, comme ça, sans préméditation, du bout des doigts, parce que ce n’est pas désagréable et qu’il n’est pas défendu d’y toucher lorsqu’on se retrouve en tête à tête puisque le Père Tout-Puissant qui savait ce qu’il faisait vous l’a planté au bon endroit. Geste de bonne humeur. Tout en pensant au prix exorbitant des légumes, à la popote du soir, aux dettes en retard, au prochain film d’amour du dimanche suivant, ou même à la Très Sainte Vierge telle qu’elle est représentée dans les pages du catéchisme, blanche et lumineuse, telle qu’elle restera gravée à jamais dans des millions de mémoires. Ce qui n’empêche pas, que je sache, de prendre un réel plaisir à vider jusqu’au bout ses intestins avec de brefs intervalles de repos entre deux expulsions bien venues, de jeter un coup d’œil par en dessous pour voir ce qu’il en sort et d’en respirer franchement l’odeur. Odeur d’accalmie heureuse au milieu de la journée de travail avilissant. Illusion de liberté sauvegardée.
    Dans toutes les usines où je suis passé, lorsqu’il ne fallait pas en demander la clef à un gardien ou à un contremaître, les chiottes étaient occupées sans interruption ou presque. Refuge facile. Sensation d’échapper provisoirement à la contrainte des horaires et à la surveillance humiliante qui pèse sur vous. Délicieuse, irremplaçable odeur d’isolement volé au cours des huit heures de servage quotidien.
    C’est aux cabinets que j’ai lu le plus abondamment pendant toute une époque qui s’étend à peu près sur dix ans. Je m’y rendais environ sept ou huit fois par jour avec le plus de naturel possible, prétextant un dérangement chronique et suscitant de la part de mes compagnons de travail les plaisanteries que l’on devine. C’était ma manière à moi de m’offrir gratis à la barbe des autorités quelques joyeux moments d’indépendance royale. Le verrou tiré, j’étais sûr qu’on ne viendrait pas me déloger avant la demi-heure suivante. Quelquefois même je ne me donnais pas la peine de faire le simulacre du déculottage, bien que pour une raison inconnue je me sois toujours senti plus à l’aise, dans la posture adéquate, le pantalon en boule sur les chaussures,

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