Septentrion
hollandaise. Lumière d’ambre et d’or mat. Brune de miel. Nulle autre clarté ne conviendrait mieux. Le vieil homme se penche lentement près d’un grand meuble à tiroirs. Il en ouvre le dernier, celui du bas. Je sais et je ne sais pas ce qu’il contient. Je dois feindre la surprise pour plaire à ce vieillard qui m’est infiniment sympathique, à qui je porte depuis le début une amitié chaleureuse. Mais, par ailleurs, je suis trop ému, trop secoué pour me bien contrôler lorsque je vois se détacher, seul sur le fond du tiroir, un livre qui porte mon nom. Mon premier livre. Mon livre. Le livre ! Édité. Pareil aux milliers d’autres que j’ai lus et enviés pendant des années. Le vieux, toujours courbé, relève un peu la tête sur le côté. Ses yeux me sourient. Il a l’air de me dire : « Hein ! cette fois, ça y est ! » Cela lui semble tout naturel. Je m’approche pour voir si le titre est bien celui que j’ai choisi, que j’aime, celui que je me suis répété tous les soirs en me couchant pour me donner confiance. Et le rêve s’interrompt. Coupure nette. Chaque fois. Sur la même image. Soit que je me réveille, soit que le noir se fasse comme si l’on tirait un rideau, soit que je passe à un autre rêve.
La journée du lendemain en restait comme éclairée. Je vivais dans le prolongement de ce climat. C’était une bonne journée.
Bien entendu, j’interprétais comme un signe favorable le fait d’avoir vu mon nom imprimé sur un volume. Jour d’allégresse. Ce qui m’arrivait rarement en ce temps-là.
J’en profitais pour dérouler en grand mes antennes extra-lucides. Celles du sexe plaquant en quelque sorte l’accord final. Je faisais un détour par la prairie humide, du côté des fleurs sauvages. Choisissant régulièrement le moment où je mâchais à belles dents une grosse bouchée de pollen parfumé pour téléphoner au secrétariat de l’usine afin de m’excuser de mon absence motivée par un inexplicable malaise qui m’avait pris dans la nuit sans que rien l’eût laissé prévoir la veille au soir. De peu de gravité, je pense. L’affaire de vingt-quatre ou quarante-huit heures au pire. Transmettez à la Direction générale, oui, mademoiselle, textuellement, j’y tiens beaucoup. Ajoutez à l’intention personnelle de M. Igoliogobulus, notre Directeur-gérant, que, cette année, le pollen courant est de toute première qualité. Celui des boutons-d’or en particulier. Je dis bien : boutons-d’or – petites fleurs innocentes qui ornent symboliquement la braguette tant soit peu voyante de notre frère David, lequel est justement en train de se vautrer dans l’herbe à mes côtés, me faisant signe de vous présenter ses compliments d’usage. Trop occupé à mastiquer un bouquet de xylothropes lunaires pour prendre lui-même l’appareil, mais se sent tout disposé à vous attendre ce soir à la sortie de votre travail, disons six heures, six heures et demie. Paierait les frais de la soirée et se ferait un devoir de vous raccompagner en taxi sans vous peloter plus qu’il n’est convenable. Quant à moi, mademoiselle, je me sens déjà en voie d’amélioration. Serai sûrement sur pied dès ce soir à la nuit tombante. Disponible. Peux vous consacrer une nuit entière avec coups à répétitions, si vous voyez où je veux en venir. Vous ferai profiter d’une expérience patiemment acquise. La vie est splendide prise dans un certain sens. Et je ne vous cacherai pas plus longtemps que votre cul que je vois chaque matin par la baie vitrée du standard téléphonique à l’entrée de l’usine est pour moi un objet de curiosité insatiable qui me traverse l’esprit plusieurs fois par jour sans que j’y mette pourtant de complaisance spéciale, au contraire, n’ayant jamais encore eu l’occasion d’apercevoir votre physique, la Direction prévoyante se doutant du danger que représenteraient pour d’humbles ouvriers de ma sorte une dizaine de paires d’yeux et de nichons bandés, sans parler de l’épaisseur, de la forme ou de l’expression des lèvres. En vertu de quoi elle vous a installées, vous et les autres, le dos tourné à l’entrée, commettant tout de même une grave erreur, car, à mon sens, rien n’est moins anonyme qu’un cul de femme quand on a le temps de se familiariser avec, ce qui est le cas pour le vôtre depuis bientôt six mois que je le retrouve à sa place matin, midi et soir, si l’on compte pour rien les
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