Sépulcre
s’il nous prenait en photo ? Ce serait un souvenir de notre séjour ici, proposa Léonie en tirant son frère par la manche. Anatole, s’il te plaît ? Un cadeau pour maman ?
À peine eut-elle prononcé ces mots que les larmes lui vinrent aux yeux. Surprise, Léonie se rendit compte à quel point sa mère lui manquait.
Percevant peut-être son émotion, Anatole capitula. Il prit place au milieu, sur une vieille chaise que les pavés ronds rendaient un peu bancale, sa canne et son chapeau sur ses genoux. Élégante dans son tailleur sombre, Isolde se tenait derrière lui, l’une de ses mains gantées de noir posée sur l’épaule de son neveu. Quant à Léonie, toute pimpante dans une veste brun-roux aux boutons de cuivre bordée de velours, elle était debout à droite de son frère et souriait à l’objectif.
— Voilà, dit Léonie quand ce fut fini. Désormais nous garderons toujours le souvenir de cette journée.
Avant leur départ de Rennes-les-Bains, Anatole fit son pèlerinage habituel à la poste restante, tandis que Léonie se rendait au modeste logement d’Audric Baillard pour s’assurer qu’il n’y était pas. Elle avait glissé dans sa poche la partition dérobée dans le sépulcre et était décidée à la lui montrer. Elle souhaitait aussi lui confier qu’elle avait commencé une série de tableaux d’après les fresques qui figuraient sur le mur de l’abside.
Et tenter grâce à lui d’en savoir un peu plus sur les rumeurs qui circulaient à propos du Domaine de la Cade.
Isolde attendit patiemment tandis que Léonie frappait à la porte en bois bleue, comme si elle pouvait en faire sortir M. Baillard par la seule force de sa volonté. Les volets étaient clos et les fleurs dans les jardinières extérieures couvertes de feutre, en prévision des premières gelées. On aurait dit que la maison se préparait à hiberner, comme si personne ne comptait y retourner avant longtemps.
Elle frappa encore, et tandis qu’elle observait la demeure claquemurée, la mise en garde de M. Baillard de ne pas retourner au sépulcre et de remettre le livre de son oncle dans la bibliothèque lui revint avec force. Léonie n’avait passé qu’une soirée en sa compagnie, pourtant elle avait pleinement confiance en lui. Et quelques semaines après cette soirée, face à la porte obstinément close de sa demeure, elle se rendait compte à quel point elle tenait à lui faire savoir qu’elle avait suivi ses conseils à la lettre.
Enfin presque.
Car elle n’était pas retournée là-bas pour en savoir plus. Et si elle n’avait pas encore replacé le livre de son oncle dans la bibliothèque, elle ne l’avait plus rouvert depuis sa visite au sépulcre.
Malgré la déception que lui valait l’absence de M. Baillard, Léonie n’en était pas moins décidée à respecter ses recommandations. Il lui vint même à l’esprit qu’il ne serait pas prudent d’agir autrement.
Se détournant, elle prit Isolde par le bras, et toutes deux rejoignirent Anatole.
Quand ils furent de retour au Domaine de la Cade une demi-heure plus tard, Léonie courut jusqu’au renfoncement sous l’escalier et rangea la partition de musique dans le coffre du tabouret de piano, sous un exemplaire mangé aux mites du Clavier bien Tempéré de Bach. Elle comprenait à présent pourquoi elle n’avait jamais essayé de la jouer, alors qu’elle l’avait depuis si longtemps en sa possession.
Cette nuit-là, dans sa chambre, quand Léonie souffla la lumière, elle regretta pour la première fois de ne pas avoir remis Les Tarots dans la bibliothèque. C’était comme si le livre de son oncle, pourtant enfoui sous les pelotes, les rubans, les bobines de fil, avait une présence palpable. Des images s’immiscèrent dans son esprit, de démons, d’enfants enlevés de leur lit, de griffures sur le sol et les pierres évoquant quelque esprit du mal ayant rompu ses chaînes. Au milieu de la nuit, elle se réveilla brusquement sous le coup d’une vision où les huit tableaux vivants du tarot l’entouraient, l’oppressaient. Alarmée, elle s’empressa d’allumer une bougie pour faire fuir les fantômes, décidée à ne pas se laisser entraîner.
Car à présent, la mise en garde d’Audric Baillard prenait tout son sens. Léonie savait que les esprits du lieu étaient venus la chercher pour l’obliger à les suivre. Et elle était décidée à ne plus leur en donner l’occasion.
54.
Le temps clément dura
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