Sépulcre
une assistance quotidienne. Pourtant les devoirs d’Isolde n’étaient guère pesants, ils se bornaient à prendre des lettres et autres correspondances sous la dictée, à lire à haute voix les journaux et les derniers romans, à accompagner sa patronne aux concerts ainsi qu’à l’opéra. À la douceur de sa voix quand elle évoquait ces années, Léonie comprit qu’Isolde avait pris en affection le financier et sa femme. Grâce à eux, elle s’était cultivée, avait appris les usages de la bonne société, suivi les exigences de la mode. Isolde n’avait pas expliqué en détail les raisons de son renvoi, mais Léonie devina que le fils du financier et son comportement déplacé y étaient pour beaucoup.
Au sujet de son union avec l’oncle de Léonie, Isolde était plus réservée. Manifestement, c’était davantage un mariage de raison que d’amour. Les circonstances, les nécessités de l’existence l’avaient poussée à accepter la demande faite par Jules Lascombe.
Léonie en apprit aussi davantage sur les incidents qui avaient troublé la paix de Rennes-les-Bains et auxquels M. Baillard avait fait allusion. Par contre, elle n’avait pas encore cerné pour quelle raison ils avaient été associés au Domaine de la Cade, et sur ce point, Isolde ne l’avait pas éclairée. Dans les années 1870, selon la rumeur, des cérémonies dépravées s’étaient tenues à l’intérieur de la chapelle désacralisée située dans les bois de la propriété.
En l’apprenant, Léonie avait eu du mal à dissimuler son trouble. Le sang avait soudain quitté ses joues. Elle avait repris quelque couleur en se rappelant ce que lui avait précisé M. Baillard : on avait fait appel à l’abbé Saunière pour tenter d’apaiser les esprits du lieu. Léonie aurait voulu en savoir plus, mais Isolde n’était pas présente au moment des faits et, malgré elle ou à dessein, ce qu’elle en disait restait trop vague.
Au cours d’une autre conversation, Isolde raconta à sa nièce que Jules Lascombe était considéré en ville comme une sorte de reclus. Après la mort de sa belle-mère et le départ de sa demi-sœur, il s’était satisfait de son isolement. Selon Isolde, il n’avait besoin d’aucune compagnie, encore moins d’une épouse. Pourtant, Lascombe s’était retrouvé en butte à des soupçons. La bonne société de Rennes-les-Bains ne voyait pas ce célibataire d’un bon œil, plus, elle s’interrogeait vivement sur les raisons qui avaient poussé sa sœur à fuir la propriété quelques années plus tôt. Et si, vraiment, elle en était partie.
Toujours d’après Isolde, les rumeurs enflèrent à tel point que Lascombe fut contraint de réagir. À l’été 1885, Bérenger Saunière, le nouveau prêtre de la paroisse de Rennes-le-Château, lui suggéra que la présence d’une femme au Domaine ferait taire les ragots et rassurerait le voisinage.
Un ami commun présenta Isolde et Lascombe l’un à l’autre. Celui-ci fit bien comprendre à sa jeune épousée qu’il ne verrait aucun inconvénient, au contraire, à ce qu’elle passe le plus clair de son temps en ville, étant entendu qu’il couvrirait ses frais, pourvu qu’elle se rende à Rennes-les-Bains chaque année dès qu’il le lui demanderait. Le mariage avait-il été consommé ? La question traversa l’esprit de Léonie, mais elle n’eut pas l’audace de la poser.
Une histoire pas romantique pour un sou, un arrangement plutôt, qui répondait à la plupart des questions que Léonie s’était posées sur la nature du couple qu’avaient formé sa tante et son oncle. Pourtant elle n’expliquait pas de quel homme Isolde avait parlé avec tant de fougue et de tendresse durant leur première promenade, en évoquant une grande passion telle qu’on en trouve dans les romans. Ce fascinant aperçu avait laissé Léonie rêveuse.
Durant ces paisibles semaines d’octobre, les prévisions de tempêtes se révélèrent erronées. Le soleil brillait, mais pas trop fort. Il soufflait une brise modérée qui ne troublait en rien la tranquillité de leurs journées.
Elles s’écoulaient dans une routine agréable, chacun vaquant à ses occupations.
La seule ombre au tableau, c’était qu’ils n’avaient aucune nouvelle de leur mère. Certes, Marguerite avait tendance à négliger sa correspondance, mais de là à ne donner aucun signe de vie… Anatole essayait de rassurer Léonie en arguant qu’une lettre avait sans doute
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