Sépulcre
jusqu’au mardi 20 octobre.
Un ciel vert-de-gris s’installa bas sur l’horizon. Une brume épaisse voilait le Domaine de ses doigts glacés. Les arbres n’étaient plus que de vagues silhouettes. Un vent violent soufflant du sud-ouest ridait la surface du lac et ployait sous ses assauts les massifs de genévriers et de rhododendrons.
Heureusement, la partie de chasse avec Charles Denarnaud a déjà eu lieu, se dit Léonie en regardant par la fenêtre.
Anatole était parti un matin, ses fusils prêtés en bandoulière, et il était revenu plus tard dans l’après-midi, le teint hâlé, manifestement ravi de cette journée passée au grand air et gardant encore dans ses yeux l’excitation de la chasse, avec dans sa besace un couple de pigeons ramiers. Un jour maussade comme aujourd’hui, le plaisir n’aurait pas été le même.
Après le petit déjeuner, Léonie alla s’installer dans le petit salon. Allongée sur la méridienne, elle s’y prélassait en lisant le recueil de nouvelles de Margaret Oliphant quand le courrier arriva du village. Elle entendit Marieta ouvrir la porte d’entrée ; échanger quelques mots avec le facteur, puis trottiner sur le sol carrelé du vestibule pour gagner le bureau.
Cette période de l’année était très prenante pour Isolde. En effet, dans un mois, soit le 11 novembre, on établirait l’exercice comptable de la propriété et on ferait le bilan de l’année écoulée, en procédant dans certains cas à des ruptures de contrat de fermage. Ce même jour, on fixerait pour l’année à venir les loyers des métayers. Isolde expliqua à Léonie qu’en tant que châtelaine, elle se devait de bien tenir son rôle. En fait, il s’agissait surtout d’écouter l’intendant et de suivre ses avis quant aux décisions à prendre. Pourtant Isolde avait passé les deux dernières matinées à s’occuper des affaires du Domaine, cloîtrée dans son bureau.
Léonie reprit sa lecture.
Quelques minutes plus tard, elle entendit des éclats de voix, puis la sonnette du bureau retentit, ce qui était inhabituel. Intriguée, Léonie reposa son livre, traversa la pièce en courant sans remettre ses chaussures et entrouvrit la porte. Elle eut juste le temps de voir Anatole dévaler l’escalier quatre à quatre pour disparaître dans le bureau.
— Anatole ? s’écria-t-elle en courant après lui. Des nouvelles de Paris ?
Mais le claquement de la porte qu’il referma derrière lui dut couvrir sa voix, car son frère ne lui répondit pas.
Comme c’est étrange, songea Léonie.
Elle attendit un peu en scrutant la porte close, espérant voir ressurgir son frère, puis, lassée d’attendre, retourna dans le petit salon.
À 11 heures, Marieta y apporta le café et posa le plateau sur la table. Il y avait trois tasses, comme d’habitude.
— Ma tante et mon frère vont-ils me rejoindre ?
— On ne m’a pas donné d’autres ordres, madomaisèla.
À cet instant, Anatole et Isolde apparurent sur le seuil.
— Bonjour, sœurette, lança-t-il d’un air guilleret.
— J’ai entendu des exclamations, dit Léonie en se levant aussitôt. Je me suis demandé si tu avais reçu des nouvelles de Paris.
Une ombre passa sur le visage de son frère.
— Non, aucune nouvelle de maman. Désolé.
— Alors… qu’y a-t-il ? demanda-t-elle en s’apercevant qu’Isolde aussi était dans un grand état d’excitation.
Les joues roses, l’œil brillant, sa tante traversa la pièce et lui pressa la main.
— J’ai reçu ce matin la lettre que j’attendais de Carcassonne.
Anatole s’était placé devant le feu, les mains derrière le dos.
— Or Isolde avait parlé d’une sortie au concert, si je ne m’abuse, remarqua-t-il.
— C’est vrai ? On y va ? s’exclama Léonie en sautant de joie, et elle embrassa sa tante. Oh ! C’est merveilleux !
— Nous nous doutions que cela te ferait plaisir, remarqua Anatole en riant. Ce n’est pas la meilleure saison pour voyager, mais on ne choisit pas toujours.
— Quand partirons-nous ? demanda Léonie en les regardant tour à tour.
— Jeudi matin. Isolde a envoyé un télégramme à ses notaires pour leur faire savoir qu’elle serait là-bas à 14 heures.
Il s’interrompit et échangea avec Isolde un regard qui n’échappa point à Léonie.
Il souhaite me parler d’autre chose, se dit-elle, le cœur palpitant.
— Ce n’est pas tout, reprit Anatole. Voilà : Isolde nous a gentiment proposé de
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