Sépulcre

dit-elle en sortant son téléphone pour le lancer à Hal. Appelle des secours. S’ils font vite…
    Il attrapa le téléphone sans faire mine de composer le numéro d’urgence. Elle comprit ses intentions.
    — Non, fit-elle doucement. Pas comme ça.
    Il soutint son regard. Il aurait voulu rendre à son oncle tout le mal que ce dernier lui avait fait : il avait sur lui, en cet instant, un pouvoir magique de vie et de mort.
    — Appelle, Hal.
    La décision demeura en suspens. Puis elle vit son regard se brouiller et il revint à lui. La justice, pas la vengeance. Il composa le numéro.
    Meredith s’accroupit auprès de Julian, qui n’était plus terrifiant, mais pathétique. Ses paumes, tournées vers le ciel, portaient une étrange marque rouge, comme un huit. Elle posa la main sur la poitrine de Julian. Il ne respirait plus.
    Elle se redressa lentement.
    — Hal.
    Il la regarda. Meredith secoua la tête.
    — C’est trop tard.

101.
    Samedi 11 novembre
     
    Onze jours plus tard, Meredith se tenait sur le promontoire surplombant le lac, contemplant un petit cercueil de bois qu’on portait en terre.
    Il n’y avait pas grand monde : elle et Hal, désormais seul propriétaire du Domaine de la Cade, Shelagh O’Donnell, dont la tête portait toujours les traces de l’agression de Julian, ainsi que le prêtre de la paroisse et un représentant de la mairie. Il avait fallu insister un peu pour qu’on accorde le permis d’inhumer : mais puisque les tombes d’Anatole et d’Isolde Vernier se trouvaient déjà sur le promontoire, la mairie avait fini par céder. Julian Lawrence les avait pillées, mais il avait laissé les ossements intacts.
    Maintenant, plus d’un siècle plus tard, Léonie pouvait enfin reposer auprès des dépouilles de son frère bien-aimé et de son épouse.
    Meredith avait une boule dans la gorge.
    Dans les heures qui avaient suivi la mort de Julian, les restes de Léonie avaient été exhumés d’une tombe peu profonde sous les ruines du sépulcre. On aurait cru qu’elle s’était allongée à même le sol pour se reposer. Personne ne comprenait comment il se faisait qu’elle n’ait jamais été retrouvée en dépit des nombreuses fouilles menées sur le site, ni pourquoi ses os n’avaient pas été dispersés par les bêtes sauvages.
    Mais Meredith avait vu la tombe de Léonie, la façon dont les teintes de la terre sous son corps endormi, les nuances cuivrées des feuilles qui la recouvraient et les fragments délavés de l’étoffe qui enveloppait son corps et la tenait au chaud s’accordaient à l’illustration de l’une des cartes du tarot. Pas la reproduction, l’original. La carte VIII : La Force. Pendant un instant, Meredith avait cru voir le reflet de larmes sur la joue froide de Léonie.
    La terre, l’air, le feu, l’eau...
    On n’avait jamais pu déterminer ce qu’il était advenu de Léonie dans la nuit du 31 octobre 1897. Il y avait eu un incendie au Domaine de la Cade, les archives en attestaient. Il avait éclaté à la tombée du jour et avait dévasté une partie de la maison en quelques heures. La bibliothèque et le bureau avaient subi les dégâts les plus importants. On savait aussi qu’il s’agissait d’un incendie volontaire.
    Le lendemain, au matin de la Toussaint, plusieurs corps avaient été retirés des décombres fumants, des domestiques qui – on le supposait – s’étaient retrouvés pris au piège des flammes. Il y avait d’autres victimes, des hommes qui ne travaillaient pas dans la propriété, des habitants de Rennes-les-Bains.
    On ne savait pas pourquoi Léonie avait choisi – ou avait été forcée – de demeurer au Domaine de la Cade alors que d’autres membres de la maisonnée, parmi lesquels son neveu Louis-Anatole, avaient fui. On ne s’expliquait pas non plus comment l’incendie avait pu se propager aussi loin, aussi vite, pour détruire le sépulcre. Le Courrier de l’Aude et d’autres journaux locaux parlaient de vents violents cette nuit-là, mais comment auraient-ils pu pousser les flammes de la maison jusqu’à la tombe wisigothe, en pleine forêt ?
    Meredith savait qu’elle tirerait tout cela au clair un jour. Avec le temps, elle parviendrait à reconstituer le puzzle.
    La lumière du soleil levant ricochait sur l’eau, les arbres et le paysage qui avait si longtemps tu son secret. Un souffle de vent chuchotait dans la vallée. La voix du prêtre, claire et intemporelle, rappela Meredith au