Sépulcre
présent.
— Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
Hal lui prit la main.
Amen. Ainsi soit-il.
Le curé, imposant dans sa lourde pèlerine de feutre noir, sourit à Meredith. Il avait le bout du nez rouge, et ses yeux bruns, pleins de bonté, pétillaient dans l’air froid.
— Mademoiselle Martin, c’est à vous.
Elle inspira profondément. Maintenant que le moment était venu, elle se sentait soudain intimidée. Réticente. Hal lui pressa les doigts, puis les relâcha doucement.
Luttant pour contenir ses émotions, Meredith s’avança jusqu’au bord de la fosse. De sa poche, elle tira deux objets retrouvés dans le bureau de Julian Lawrence, un médaillon d’argent et une montre d’homme. Les deux portaient simplement des initiales et une date, 22 octobre 1891, commémorant le mariage d’Anatole Vernier et d’Isolde Lascombe. Meredith hésita, puis s’accroupit et les laissa tomber doucement dans la fosse.
Elle leva les yeux vers Hal, qui sourit et hocha imperceptiblement la tête. Elle inspira à nouveau profondément, puis tira de sa poche une enveloppe : la partition, l’héritage le plus précieux de Meredith, emportée par Louis-Anatole par-delà l’océan, de France en Amérique, et transmise de génération en génération jusqu’à elle.
Il était pénible à Meredith d’y renoncer, mais elle savait que la partition revenait à Léonie.
Elle contempla la petite pierre tombale en ardoise sertie à même le sol, grise dans l’herbe verte :
LÉONIE VERNIER
22 AOÛT 1874-31 OCTOBRE 1897
REQUIESCAT IN PACE
Meredith laissa retomber l’enveloppe, qui tourbillonna dans l’air immobile, éclair de blancheur libéré par ses doigts gantés de noir.
Que les morts reposent en paix. Qu’ils dorment du sommeil éternel.
Elle recula, les mains jointes, la tête inclinée. Le petit groupe se recueillit en silence. Puis Meredith adressa un signe de tête au prêtre.
— Merci, monsieur le curé.
— Je vous en prie.
D’un geste intemporel, il rassembla tous ceux qui s’étaient réunis sur le promontoire, et guida le petit groupe jusqu’au lac. Alors qu’ils traversaient la pelouse scintillante de rosée matinale, le soleil levant, reflété par les carreaux des fenêtres de la maison, lança des flammes.
Meredith s’arrêta brusquement.
— Tu me donnes une minute ?
Hal hocha la tête.
— Je les fais entrer et je te rejoins.
Elle le regarda s’éloigner, gagner la terrasse, puis elle se retourna pour contempler le lac. Elle voulait rester là encore un moment.
Meredith resserra son manteau contre elle. Ses orteils et ses doigts étaient paralysés par le froid et ses yeux picotaient. Les formalités étaient terminées. Elle n’avait pas envie de quitter le Domaine de la Cade mais elle savait qu’il était temps. À la même heure, le lendemain, elle serait en route pour Paris. Le jour suivant, mardi 13 novembre, elle serait au-dessus de l’Atlantique, sur le chemin du retour. Puis elle devrait décider ce qu’elle allait bien pouvoir faire.
Décider si Hal et elle avaient un avenir ensemble.
Meredith contempla le promontoire par-delà les eaux dormantes, plates comme la surface d’un miroir. Alors, à côté du vieux banc de pierre, elle crut apercevoir une silhouette, scintillante, évanescente, vêtue d’une robe verte et blanche à la taille sanglée, aux jupes évasées et aux manches bouffantes. Ses cheveux dénoués avaient des reflets cuivrés dans les froids rayons du soleil. Derrière elle, les arbres argentés de givre avaient l’éclat du métal.
Meredith crut réentendre la musique, sans savoir si elle surgissait de l’intérieur de sa tête ou des profondeurs du sol.
Elle resta immobile et silencieuse, à guetter, sachant que c’était la dernière fois. Il y eut un scintillement sur l’eau, peut-être le reflet d’un rayon de soleil, et Meredith vit Léonie lever la main. Un bras mince dessiné sur fond de ciel blanc. De longs doigts gantés de noir.
Elle songea au jeu de tarot. Aux cartes de Léonie, peintes plus de cent ans auparavant pour raconter son histoire et celle des êtres qu’elle avait aimés. Dans la confusion et le chaos des heures qui avaient suivi la mort de Julian le jour de Halloween – pendant que Hal était au commissariat et qu’elle ne cessait de donner ou de recevoir des coups de fil entre l’hôpital où l’on soignait Shelagh, et la morgue où l’on avait emporté le corps de Julian –,
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