Sépulcre

Meredith avait discrètement replacé les cartes dans la boîte à ouvrage de Léonie et les avait remises dans leur vieille cachette, dans les bois.
    Comme la partition, Sépulcre 1891, leur place était sous terre.
    Elle garda les yeux fixés là où Léonie lui était apparue, mais l’image s’estompait.
    C’était le désir de justice qui avait retenu Léonie jusqu’à ce que toute son histoire soit révélée. Maintenant, elle pouvait reposer en paix dans la terre paisible qu’elle avait tant aimée.
    Meredith sentit Hal s’approcher derrière elle.
    — Ça va ? fit-il doucement.
    Que les morts reposent en paix. Qu’ils dorment du sommeil éternel.
    Meredith savait qu’il se débattait pour trouver un sens à tout ce qui s’était passé. Au cours des dix derniers jours, ils n’avaient pas cessé de parler. Elle lui avait raconté ce qui était arrivé avant qu’il fasse irruption dans la clairière, quelques minutes après son oncle – au sujet de Léonie, de sa lecture de tarots à Paris, de l’obsession remontant à plus d’un siècle qui avait coûté tant de vies, des démons et de la musique du lieu, de son sentiment d’avoir été en quelque sorte attirée au Domaine de la Cade. Mythes, légendes, faits, histoire, le tout mélangé.
    — Tu es sûre que ça va ? insista Hal.
    — Ça va. J’ai juste un peu froid.
    Meredith fixait toujours l’horizon. La lumière était en train de changer. Même les oiseaux avaient arrêté de chanter.
    — Ce que je ne comprends toujours pas, dit Hal en enfonçant ses mains dans ses poches, c’est pourquoi tu as été choisie. Enfin, je sais que tu es une descendante des Vernier, mais tout de même…
    Il se tut, ne sachant comment poursuivre.
    — Peut-être, dit-elle posément, est-ce parce que je ne crois pas aux fantômes.
    Elle n’était plus consciente de la présence de Hal ni de la froide lumière mauve qui baignait la vallée de l’Aude. Elle ne voyait que le visage de la jeune fille de l’autre côté de l’eau. Son fantôme se confondait avec les arbres et le givre, il s’échappait. Léonie avait presque disparu, maintenant. Ses contours oscillaient, s’éloignaient, s’effaçaient comme l’écho d’une note de musique.
    Du gris au blanc, puis à l’absence.
    Meredith leva la main, comme pour faire signe, alors que les contours scintillants s’évanouissaient enfin. Alors, lentement, elle baissa le bras.
    Requiescat in pace.
    Enfin, il n’y eut plus que le silence et l’espace.
    — Tu es vraiment sûre que ça va ? répéta Hal, inquiet.
    Elle hocha lentement la tête.
    Pendant quelques minutes encore, Meredith fixa le vide, incapable de rompre son lien avec ce lieu. Puis elle inspira profondément et tendit la main vers Hal. Vers son corps chaud, fait de chair et de sang.
    — On rentre ? dit-elle.
    Main dans la main, ils traversèrent la pelouse en direction de la terrasse. Leurs pensées suivaient des cours très différents. Hal rêvait d’un café. Meredith pensait à Léonie. Elle allait beaucoup lui manquer.

ÉPILOGUE
Trois ans plus tard
    Samedi 31 octobre 2010
     
    — Mesdames et messieurs, bonsoir. Je m’appelle Mark et j’ai le grand honneur d’accueillir Meredith Martin dans notre librairie.
    Des applaudissements enthousiastes mais dispersés crépitèrent, puis le silence retomba dans la minuscule librairie. Hal, assis au premier rang, sourit à Meredith pour l’encourager. Du fond de la salle, son éditrice leva le pouce.
    — Comme plusieurs d’entre vous le savent déjà, reprit le gérant de la librairie, Meredith Martin est l’auteur d’une biographie du compositeur Claude Debussy publiée l’an dernier, qui a reçu des critiques dithyrambiques. Toutefois, ce que vous ne savez peut-être pas…
    Mark était un vieil ami, et Meredith eut le sentiment affreux qu’il allait remonter très loin, jusqu’à l’école primaire, puis évoquer leurs années de lycée et d’université, avant d’aborder le sujet du livre.
    Elle laissa son esprit vagabonder sur des sentiers familiers. Elle repensa à tout ce qui s’était passé pour qu’elle en arrive là. Trois années d’enquête, de vérifications et de contre-vérifications, pour rassembler les morceaux épars de l’histoire de Léonie, tout en se démenant pour rendre dans les temps sa biographie de Debussy.
    Meredith n’avait jamais su si Lilly Debussy s’était bien rendue à Rennes-les-Bains, mais les deux récits