Shogun
raffinée que les autres ,
s’approcha de lui et s’inclina. Blackthorne, qui avait bien appris sa
leçon s’inclina aussi. Les visages se détendirent. Il ressentait encore l’horreur
du meurtre commis en pleine rue. Leurs sourires ne faisaient pas s’évanouir ses
pressentiments. Il se dirigea vers l’échelle de service et s’arrêta
brusquement. Un large ruban de soie rouge barrait l’entrée. Un petit écriteau
recouvert d’une écriture bizarre et compliquée était cloué à proximité. Il
hésita, vérifia l’autre porte. Elle était également scellée par un ruban
similaire ; un écriteau semblable était cloué contre la cloison. Il tendit
la main pour ôter le ruban.
« Hotté oké ! » Le samouraï secoua la
tête négativement. Il ne souriait plus.
« Mais c’est mon bateau ; je veux… »
Blackthorne dissimula son angoisse en fixant les épées. Il
faut que je descende, pensa-t-il, il faut que je récupère les carnets : le
mien et le carnet secret. Mon Dieu, si on les trouve et si on les donne aux
prêtres ou aux Japonais, nous sommes finis. N’importe quel tribunal au monde –
hors d’Angleterre et de Hollande – avec une preuve pareille nous
condamnerait pour piraterie. Mon carnet donne les dates, endroits et valeur du
butin saisi ; le nombre de morts pour chacune des trois escales aux
Amériques et pour celle en Afrique espagnole ; le nombre des églises
pillées, la façon dont nous avons brûlé les villes et les vaisseaux. Et le
carnet portugais ? C’est la mort assurée, car nous l’avons bien sûr volé.
On l’a, en tout cas, acheté à un traître portugais et, selon leurs lois, un
étranger pris en possession d’un de leurs carnets – sans parler de celui qui
ouvre le détroit de Magellan – est immédiatement exécuté. Si le carnet
est découvert à bord d’un navire ennemi, tout l’équipage est exécuté sans pitié
et le bateau brûlé.
« Nan noyoda ? » dit l’un des
samouraïs.
— Vous parlez portugais ? » demanda
Blackthorne dans cette langue. L’homme haussa les épaules : « Wakarimasen ».
Un autre samouraï s’approcha ; il parla avec déférence
à son chef qui acquiesça.
« Toi ami portugais ? » demanda le samouraï
en portugais ; il parlait avec un très fort accent. Il entrouvrit la
partie supérieure de son kimono et lui montra le petit crucifix de bois qui
pendait à son cou.
« Chrétien ! » Il se désigna du doigt.
« Chrétien. » Il pointa son doigt vers Blackthorne :
« Chrétien ka ? »
Blackthorne hésita puis acquiesça. « Chrétien.
— Portugais ?
— Anglais. »
L’homme parlementa avec son chef puis tous deux haussèrent
les épaules. Ils se retournèrent vers lui. « Portugais ? »
Blackthorne secoua la tête ; il ne voulait à aucun prix
les contredire. « Mes amis ? Où ? »
Le samouraï indiqua de l’index l’extrémité est du village
« Amis.
— C’est mon bateau. Je veux descendre. »
Blackthorne essaya de se faire comprendre. Il parla par signes. Ils comprirent.
« Ah ! so desu ! Kinjiru ! » répondirent-ils énergiquement en indiquant l’écriteau. Ils avaient l’air
réjouis.
Il était clair qu’il n’avait pas le droit de descendre, Kinjiru doit vouloir dire « interdit », pensa Blackthorne avec
irritation. Et puis au diable ! Il saisit la poignée et entrouvrit la
porte.
« KINJIRU ! »
Quelqu’un l’empoigna et lui fit faire volte-face ; il
se retrouva face aux deux samouraïs. Leurs épées étaient à moitié dégainées.
Immobiles, les deux hommes attendaient sa décision. D’autres, sur le pont,
contemplaient la scène, impassibles.
Blackthorne savait qu’il n’avait pas le choix ; il
devait battre en retraite ; il haussa les épaules et s’éloigna. Il vérifia
les haussières, inspecta tout le bateau. Les voiles froissées avaient été
amenées et étaient attachées par endroits. Il descendit l’échelle de coupée et
s’arrêta. Il était parcouru de sueurs froides en les voyant tous si hostiles.
Il pensa – Seigneur Dieu, comment ai-je pu être aussi stupide ! Il
s’inclina poliment et l’hostilité disparut comme par enchantement. Les sourires revinrent. Il sentait encore la sueur
dégouliner le long de son dos. Il détestait tout dans les
Japons et souhaitait pouvoir monter à bord de son navire avec son équipage et gagner la haute mer.
« Ventrebleu, vous avez tort, chef ! »
dit Vinck. Son
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