Shogun
rictus semblait obscène sur cette bouche édentée. « Si
seulement vous pouviez vous habituer à cette pâtée qu’ils appellent nourriture,
c’est l’endroit le plus extraordinaire que j’aie jamais vu. Jamais. Je me suis
déjà fait deux femmes en trois jours. Elles sont comme des lapines. Elles font
tout ce qu’on veut du moment qu’on leur montre comment faire.
— C’est vrai ; mais tu peux
rien faire sans viande ni cognac. En tout cas, pas longtemps. Je suis épuisé et
j’ai baisé qu’une fois » , dit Maetsukker. Son visage
se crispait nerveusement. Ces chiens de jaunes comprendront jamais qu’on a
besoin de viande, de bière et de pain. De cognac ou de vin.
— C’est ce qu’il y a de pire, bon
Dieu ; mon royaume pour une goutte d’alcool ! » Baccus Van Nekk
avait le visage sombre. Il s’approcha et se tint près de Blackthorne qu’il
scruta du regard. Il était complètement myope et avait perdu sa dernière paire
de lunettes dans la tempête. Il était marchand, trésorier et représentant de la
Compagnie hollandaise des Indes orientale s qui avait
commandité le voyage. « Nous sommes à terre, sains et saufs, et nous
n’avons pas encore bu une seule goutte ; pas une seule petite larme !
C’est terrible ! Vous avez bu, chef ?
— Non ! » Blackthorne n’aimait pas avoir
quelqu’un tout près de lui, mais Baccus était un ami, presque aveugle ; il
ne bougea pas. « Juste de l’eau chaude avec des herbes.
— Ils ne comprendront jamais qu’on a besoin d’alcool.
Rien à boire – que de l’eau chaude avec des herbes. Que le Bon Dieu nous vienne
en aide ! Supposez qu’il n’y ait pas une seule goutte
d’alcool dans tout le pays ! » Il leva les sourcils :
« Rendez-moi un grand service, chef. Demandez-leur de l’alcool ;
voulez bien ? »
Blackthorne avait trouvé la maison où ils avaient été assignés.
Le samouraï de garde l’avait laissé entrer, mais ses hommes
lui avaient confirmé qu’ils n’avaient pas le droit de sortir du jardin. La
maison avait plusieurs pièces, comme la sienne. Elles étaient seulement plus
grandes. Onze de ses hommes étaient vivants. Les cadavres avaient été enlevés
et enterrés par les Japonais. Les légumes frais servis en abondance avaient
commencé à faire reculer le scorbut et tous, sauf deux, guérissaient
rapidement. Les deux marins avaient du sang dans les intestins et la dysenterie
les ravageait, Vinck les avait saignés, mais ça n’avait pas servi à
grand-chose. Il s’attendait à les voir mourir à la tombée de la nuit. Le
commandant se trouvait dans une autre pièce. Il était toujours très malade.
Sonk, le cuistot, petit homme trapu, dit en riant :
« C’est bien ici, comme dit Johann, à part la bouffe et le manque
d’alcool. Et ça marche bien avec les indigènes tant qu’on porte pas de
chaussures dans la maison. Ça les rend fous, ces Jaunes, si on enlève pas les
souliers.
— Écoutez-moi, dit Blackthorne. Il y a un prêtre. Un
jésuite.
— Tudieu ! » Le badinage cessa pendant qu’il
leur parlait du prêtre et qu’il leur racontait la décapitation.
« Pourquoi lui a-t-il coupé la tête, chef ?
— Je ne sais pas. »
La peur s’était installée dans la pièce. Salomon, le muet,
observait Blackthorne. Sa bouche ruminait, une traînée de bave aux commissures
des lèvres.
Pour répondre à sa question muette, Blackthorne lui dit
gentiment : « Non, Salomon, pas d’erreur possible ! Il m’a dit
qu’il était jésuite.
— Qu’il soit jésuite, dominicain ou je ne sais quoi
d’autre n’y change foutrement rien, dit Vinck. On ferait mieux de remonter à
bord.
— Nous sommes entre les mains du Seigneur », dit
Jan Roper. C’était l’un des marchands-aventuriers. Jeune homme au front haut,
aux petits yeux et au nez fin. « Dieu nous protégera des adorateurs de
Satan. »
Vinck se tourna vers Blackthorne : « Et les Portugais,
chef ? Vous en avez vu dans les parages ? »
— Non. Aucune trace.
— Ils vont bientôt grouiller dès qu’ils apprendront
notre capture », dit Maetsukker à la cantonade ; le jeune Croocq poussa
un gémissement.
« Oui. S’il y a un prêtre, il doit y en avoir d’autres,
dit Ginsel en passant sa langue sur ses lèvres sèches. Et leurs putains de
conquistadores sont plus très loin.
— C’est vrai, ajouta Vinck, mal à l’aise. C’est comme les poux.
— Mais nous sommes aux
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