Si c'est un homme
voilà par terre, tous muscles raidis, tenant à deux mains mon pied blessé, la vue obscurcie par la douleur. L'arête en fonte s'est enfoncée de biais dans mon pied gauche.
L'espace d'une minute, tout disparaît dans un vertige de souffrance Lorsque je reprends conscience, Null Achtzehn n'a pas bougé, il est planté là, les mains
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enfilées dans ses manches, muet, à me regarder d'un œil vide Mischa et le Galicien arrivent, parlent entre eux en yiddish, me donnant de vagues conseils. Arrivent Templer et David, suivis du gros de la troupe qui profite de la diversion pour interrompre le travail Arrive le Kapo, qui distribue coups de pied, coups de poing et jurons, dispersant les hommes comme paille au vent.
Null Achtzehn porte une main à son nez et s'aperçoit, hébété, qu'elle est tachée de sang. Quant à moi je m'en tire avec deux coups sur la tête, de ceux qui ne font pas mal parce qu'ils étourdissent.
L'incident est clos. Je constate que j'arrive tant bien que mal à me tenir sur mes pieds, l'os ne doit pas être brise Je n'ose enlever mon soulier de peur de réveiller la douleur, et aussi parce que je sais qu'ensuite le pied se mettra à gonfler et que je ne pourrai plus me rechausser Le Kapo m'envoie travailler sur la pile, à la place du Galicien qui me jette au passage un regard torve et va prendre place au côté de Null Achtzehn, mais voilà déjà les prisonniers anglais qui passent, il sera bientôt l'heure de rentrer au camp
Pendant le trajet de retour, je fais de mon mieux pour marcher vite, mais sans réussir à suivre la cadence, le Kapo désigne Null Achtzehn et Finder pour me soutenir jusqu'au poste des SS, et finalement (par bonheur ce soir il n'y a pas d'appel) une fois arrivé à la baraque, je peux me jeter sur ma couchette et respirer Peut-être est-ce la chaleur, peut-être le mouvement de la marche, ma douleur s'est réveillée, en même temps que j'éprouve une bizarre sensation d'humidité au pied blessé. J'enlève mon soulier : il est plein de sang coagulé et amalgamé à de la boue et aux lambeaux du chiffon que j'ai trouvé il y a un mois et qui me sert de chaussette
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russe, un jour pour le pied droit, un jour pour le pied gauche. Ce soir, tout de suite après la soupe, j'irai au K.B.
K.B., c'est l'abréviation de « Krankenbau », infirmerie. L'infirmerie se compose de huit baraques semblables aux autres en tous points, mais séparées du reste du camp par des barbelés. Elle contient en permanence un dixième de la population du camp, mais bien peu y séjournent plus de quinze jours, et personne plus de deux mois, délai au terme duquel nous sommes tenus de guérir ou de mourir. Pour être soigné au K.B., en effet, il faut être enclin à guérir, la propension contraire conduisant directement du K.B. à la chambre à gaz. Et encore, c'est parce que nous avons le privilège d'appartenir à la catégorie des « juifs économiquement utiles ».
Au K.B. comme au Dispensaire tout est nouveau pour moi car je n'y suis encore jamais allé.
Le Dispensaire se divise en deux sections, celle de Médecine et celle de Chirurgie. Devant la porte, deux longues files d'ombres attendent dans la nuit et le vent.
Certains ne sont là que pour un pansement ou des comprimés, d'autres ont besoin d'une visite ; quelques-uns ont la mort sur le visage. Les premiers des deux files sont déjà déchaussés et prêts à entrer ; les autres, au fur et à mesure que leur tour approche, s'efforcent au milieu de la bousculade de dénouer les bouts de ficelle et les fils de fer qui leur servent de lacets, et de dérouler sans les déchirer leurs précieuses chaussettes russes ; pas trop tôt pour ne pas rester inutilement pieds nus dans la boue ; pas trop tard pour ne pas manquer leur tour d'entrée : il est en effet rigoureusement interdit d'entrer chaussé au K.B. Le préposé aux chaussures est un gigantesque Hâftling français, installé dans une loge entre les deux
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dispensaires. C'est un des rares fonctionnaires français du camp, et ce serait une erreur grossière de croire que passer ses journées au milieu de souliers boueux et éculés est un
mince privilège : il suffit de penser à tous ceux qui entrent au K.B. avec leurs souliers et qui en ressortent sans plus en avoir besoin...
Lorsque mon tour arrive, je réussis par miracle à retirer chaussures et chiffons sans perdre ni les uns ni les autres, sans me faire voler ma gamelle ni mes gants,
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