Souvenir d'un officier de la grande armée
au-dessous de sa haute réputation. Du moins je n’y trouvai pas ces grandes émotions que j’avais éprouvées, autrefois, aux pièces de Corneille et de Racine. Mlle Mars, comme à son ordinaire, électrisa tous les spectateurs.
7 juin. – Je vais aux Tuileries voir la procession des chevaliers du Saint-Esprit, le jour de la Pentecôte, fête de l’Ordre. Les chevaliers en manteaux de soie verte, richement brodés, chapeaux à la Henri IV, tuniques, culottes et bas de soie blancs, collier au cou, sortirent des grands appartements, deux à deux, pour se rendre à la chapelle, et revinrent de même dans la salle du trône. Le roi était le dernier. Je ne pus entrer dans la chapelle pour voir les réceptions qu’on y fit, les portes étant fermées après l’entrée des chevaliers. À la sortie, me trouvant dans le premier salon qui suit celui des maréchaux, le roi m’adressa la parole sur le séjour du régiment à Paris. Cette promenade cérémonieuse, plus curieuse encore qu’imposante, m’intéressa cependant, parce qu’elle me mit en position de connaître un foule de grands personnages, célèbres tant par leur illustration propre, que par leur naissance, leurs titres, leurs fonctions et les services qu’ils ont rendu à l’État, et beaucoup d’anciens émigrés. Je vis là, pour la première fois, toute la famille du duc d’Orléans.
Un court voyage à Charmes, auprès de sa femme, dont l’état de santé, après une amélioration passagère, est redevenu alarmant, permet à Barrès de voir son fils qui « commence à jaser et marcher ». C’est à peine si la grâce de l’enfant suffit à apporter quelque trêve à ses inquiétudes grandissantes. Il revient à Paris, en juillet, après une absence de vingt jours.
8 août. – Murmures, inquiétudes dans Paris sur l’annonce qu’un changement de ministère aurait lieu dans la journée, et que le prince de Polignac serait nommé président du Conseil. Cette nouvelle d’un ministère congréganiste et contre-révolutionnaire frappait de stupeur tous les amis de nos institutions constitutionnelles.
Ayant à leur tête le comte Coutard, commandant la 1 ère division, tous les officiers de la garnison allèrent faire une visite officielle à M. le ministre de la Guerre, le lieutenant-général comte de Bourbon. Je trouvai le ministre embarrassé, peut-être honteux de se voir le chef d’une armée française, lui qui avait abandonné, quelques jours avant la désastreuse bataille de Waterloo, l’armée qui fut vaincue dans cette funeste journée, malheur et deuil de la France. Le poids de cette trahison devait lui peser sur le cœur comme un remords, si, comme il fut dit dans les salons du ministère, des généraux refusèrent de prendre la main qu’il présentait.
15 août. – Je prends le commandement de deux cent cinquante hommes d’élite du régiment, pour aller border la haie, sur une partie du quai de la Cité, jusqu’à la porte de la Métropole, à l’occasion de la procession du Vœu de Louis XIII. À quatre heures, le roi, le dauphin, la dauphine et la cour passèrent à pied dans nos rangs, escortés par les gardes du corps à pied du roi (les Cent Suisses). Le cortège était beau, mais simple. Aucuns cris d’allégresse et d’hommages ne se firent entendre sur le passage du roi. Les cœurs étaient glacés, les visages froids et mornes, depuis l’avènement du ministère Polignac.
UNE SÉANCE DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE
25 août. – Séance publique et solennelle de l’Académie française. Avant de m’y rendre, je fus à Saint-Germain-l’Auxerrois entendre le panégyrique de Saint-Louis, prononcé devant les membres de l’Académie, suivant l’ancien usage. Peu d’immortels, et guère plus d’auditeurs. Ni l’éloge, ni l’orateur ne firent d’effet.
À une heure, j’entrais dans la salle des séances publiques de l’Institut. Me trouvant un des premiers, je pus choisir ma place. La salle peu vaste me parut bien distribuée, décorée avec goût et simplicité. On n’y est admis que par billets, qu’on doit demander plusieurs jours à l’avance. C’est habituellement l’élite du grand monde, les savants français et étrangers, et quelques étudiants studieux qui composent l’auditoire. Dans les nombreuses pièces qui précèdent la salle, sont les statues en marbre de nos grands poètes et prosateurs, historiens et philosophes, orateurs et savants. J’y remarquai celle de La
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