Souvenir d'un officier de la grande armée
Fontaine, ouvrage de Julien du Puy, mon compatriote et l’ami de mon frère. À deux heures, la salle et les tribunes étaient combles ; il n’y avait plus de places pour les derniers arrivés.
À deux heures et demie, M. Cuvier, directeur en exercice, ouvrit la séance. La première lecture fut faite par M. Andrieux, secrétaire perpétuel, et le discours pour la distribution des prix de vertu par le président, le baron Cuvier. La pièce de vers qui avait remporté le prix fut lue par M. Lemercier, avec une verve, une chaleur qui doublèrent le mérite de la composition. Le sujet du concours était la découverte de l’imprimerie. Beaucoup de vers furent vigoureusement applaudis, surtout ceux qui avaient trait à la liberté de la presse, et aux dangers qu’elle pouvait courir sous un gouvernement ennemi des lumières. Quand le poète lauréat, M. Legouvé, fils de l’académicien décédé, auteur de la Mort d’Abel et du Mérite des femmes, se présenta au bureau pour recevoir la médaille d’or, son nom fut couvert par de nombreux applaudissements. Je remarquai, sur les banquettes destinées aux membres de l’Institut, MM. de Lally-Tollendal, Barbé-Marbois, Chaptal, Arago, de Ségur, Casimir Delavigne, etc., et dans la salle ou les tribunes, le dernier président du Directoire, le vénérable Gohier, le président du Consistoire M. Marron, Mlle Léontine Fay, etc. Je regrettai de ne pas m’être trouvé près de quelqu’un qui connût bien les académiciens et les personnages distingués, présents à cette réunion, pour me les désigner par leurs noms. À quatre heures et demie, on sortit. Je passai dans cette célèbre enceinte un instant de la journée fort agréablement.
30 août. – Je suis allé cet après-midi, dans le faubourg Saint-Antoine, visiter le propriétaire de la maison chez qui je loge. Je m’y suis rencontré avec un jeune Russe, un capitaine aux grenadiers à cheval de la garde royale, du nom d’Espinay Saint-Luc, et quelques autres personnes. On vint à parler du passage des Balkans par les Russes et de leur marche triomphale sur Constantinople. Le jeune Russe, plein d’enthousiasme, célébrait avec chaleur la bravoure de ses compatriotes. Le capitaine défendait les Turcs, et déplorait amèrement la triste position où allait se trouver le sultan Mahmoud. On lui demanda à la fin quel intérêt il pouvait porter à ce monarque, pour le plaindre si vivement. Il répondit, les larmes aux yeux : « Mahmoud est mon cousin germain. Sa mère et la mienne étaient sœurs. » Après cette extraordinaire confidence, qui nous surprit tous, on se tut.
En effet, la mère du sultan était une demoiselle d’Espinay Saint-Luc. Elle avait été prise par des corsaires algériens, vers 1786, étant âgée de trois ans.
31 août. – Je vais au théâtre de l’Opéra Comique, salle Ventadour, nouvellement construit, et que je ne connaissais pas encore. Une salle superbe. On jouait la Dame Blanche et Marie , opéras que j’avais déjà vus en province, mais que j’entendis de nouveau avec plaisir. Ce fut la dernière fois que je fus au spectacle ; je n’eus plus envie plus tard d’y retourner, ni de prendre aucun autre plaisir ni distraction de ce genre.
C’est à cette époque que Barrès va éprouver la plus grande douleur de sa vie : sa femme qui, après sa cure de Plombières, était venue le rejoindre à Paris, subit une grave opération, pratiquée le 4 octobre par le docteur Piollet, sur les conseils de Dupuytren. La légère amélioration qui suivit permit un instant d’espérer la guérison. Barrès put reprendre son service.
DANS LA PLAINE DE GRENELLE
29 octobre. Revue par le roi des troupes de la garnison et des environs de Paris, dans la plaine de Grenelle.
Toute la troupe de ligne était placée en première ligne, l’infanterie de la garde en deuxième ligne. Toute la cavalerie, ligne et garde, était aussi sur deux lignes, derrière l’infanterie. Enfin la belle artillerie de la garde était sur les flancs, dans les intervalles et en réserve. Notre premier bataillon, en tirailleurs, couvrait le front de la bataille qui faisait face à la Seine. Mon bataillon était à sa place de bataille, à la gauche de la première ligne. On comptait en tout seize bataillons d’infanterie et quatre régiments de cavalerie. L’emplacement et l’ordre de bataille déterminés, on attendit dans cette position l’arrivée du roi.
À une heure, le canon,
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