Souvenir d'un officier de la grande armée
d’Alger, qui avait eu lieu le 5, et dont la nouvelle avait été apprise à Paris, la veille, dans la journée. N’étant pas de service pour border la haie sur le passage de Sa Majesté, je me rendis à la métropole. En moins de vingt-quatre heures, l’église avait été magnifiquement tendue. La cérémonie fut majestueuse, la musique et les chants pleins de suavité. Il y avait beaucoup de monde, et l’on n’entrait que par billet ou en uniforme. Eh bien ! malgré l’importance du succès, malgré les lauriers que venait de remporter notre belle et brave armée d’Afrique, il n’y eut point de cris d’allégresse. Sur le passage du roi, dans cette foule du parvis de Notre-Dame, dans les rues traversées par cette éclatante escorte, point de preuves d’enthousiasme ni de sympathie. Le roi fut reçu à la porte de l’église par l’archevêque, qui prononça un discours, amèrement censuré le lendemain par toute la presse libérale. Ce discours fut cause du sac de l’archevêché, moins de trois semaines après. Charles X, placé sous un dais, fut conduit à sa place par tout le chapitre, ayant autour de lui les princes de la maison d’Orléans, les ministres, les maréchaux, et ses grands officiers.
Pendant qu’on chantait l’hymne par laquelle on remerciait le ciel du triomphe qu’on venait de remporter en Algérie, je me rappelai, comme un glorieux souvenir pour moi, que j’avais vu, dans cette même enceinte sacrée, une cérémonie encore plus grandiose, plus sublime, le couronnement de l’empereur Napoléon par un pape, entouré de l’élite de la nation française d’alors. Vingt-six années s’étaient écoulées, depuis cette grande époque impériale. Le maître du monde, l’homme du destin, le vainqueur des rois avait été détrôné deux fois, en moins de dix ans de règne, et était mort dans l’exil, sur un affreux rocher au milieu de l’océan. Qui m’aurait dit que ce vénérable souverain que j’avais sous les yeux, prosterné à dix pas de moi, au pied des autels, enivré d’hommages et entouré d’un profond respect, qui paraissait si puissant et si fort, serait, à vingt jours de là, chassé de son palais, et obligé pour la troisième fois de quitter la France, qu’une de ses armées venait d’illustrer, et de reprendre le chemin de la terre d’exil ! Ô vicissitudes humaines, combien vos coups sont imprévus et frappent de haut !
Les prières terminées, le roi fut reconduit avec le même cérémonial, et la famille d’Orléans, l’ayant accompagné jusqu’à la porte, sortit par une autre issue pour monter en voiture. Quand le grand maître des cérémonies, M. le marquis de Dreux-Brézé, que je connaissais un peu, me dit, en me touchant l’épaule avec son bâton d’ébène : « Mon cher commandant, faites place à M. le duc d’Orléans », qu’il reconduisait jusqu’à ses voitures, il ne pensait pas plus que moi que c’était pour son futur souverain qu’il réclamait le passage libre.
21 juillet. – Je vais à l’observatoire royal, pour assister à l’ouverture du cours d’astronomie fait par M. Arago. Son frère, capitaine d’artillerie de ma connaissance, voulait bien me conduire. Ce cours public, destiné aux gens du monde, promettait d’offrir un grand intérêt. Je me proposais de suivre très exactement les leçons du grand astronome, afin de satisfaire ainsi un goût très prononcé pour cette difficile et sublime science, mais les événements politiques qui survinrent quelques jours après arrêtèrent, dès son début, les bonnes intentions du professeur et celles d’un de ses plus zélés auditeurs.
25 juillet. – Tous les officiers supérieurs du régiment se rendirent à Saint-Cloud, pour voir le dauphin, à qui le colonel avait une grâce à demander pour la veuve d’un capitaine du régiment : on lui refusait une pension, parce qu’elle ne pouvait pas justifier qu’elle était légitimement mariée, le mariage ayant été fait en pays étranger. Notre présentation terminée, nous nous rendîmes dans la galerie d’Apollon, pour attendre le roi et entendre la messe. Resté dans la galerie, je causai avec plusieurs généraux et officiers de ma connaissance. Il n’y avait chez personne ni agitation, ni inquiétude, malgré que les nouvelles des départements fussent défavorables au ministère. Si la figure des courtisans était assombrie, si de nombreux apartés annonçaient des préoccupations, le
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