Souvenirs d'un homme de lettres
steeple-chases de province
comme nous en avons vu cent fois. Des cartes vertes aux chapeaux,
quelques rares voitures rangées dans l'enceinte, des effets
d'ombrelles et de robes traînantes, le tout à l'imitation de
Paris ; cela ne peut être intéressant pour nous ; mais
les courses de mulets et de chevaux du pays nous ont singulièrement
amusé. C'est le diable de mettre en ligne ces petits mulets bretons
doublement entêtés. La musique, les cris, le bariolage des tribunes
les effrayent. Il y en a toujours quelqu'un qui emporte son
cavalier en sens contraire, et il faut du temps pour le ramener.
Les gars qui les montent ont des bonnets catalans de couleur
écarlate, la veste pareille, de grandes braies courtes et
flottantes, les jambes et les pieds nus ; pas de selles,
seulement des brides que les mulets tirent de côté avec un mauvais
vouloir remarquable. Enfin les voilà partis. On les aperçoit dans
la plaine, lancés au grand galop. Les casaques rouges sont
terriblement secouées, et les jambes droites et tendues s'efforcent
de maintenir la monture dans la ligne tracée par les cordes. Au
tournant surtout, plus d'un cavalier s'en va rouler sur l'herbe de
l'enceinte ; mais la course n'est pas interrompue pour cela.
Le paludier, propriétaire de l'animal, s'élance aussitôt, laisse
son malheureux jockey se relever tout seul et, dans sa grande
blouse qu'il n'a pas eu le temps de quitter, enfourche lui-même sa
bête. On sourit dédaigneusement sur les tribunes ; mais
là-bas, le peuple breton, perché dans les arbres, rangé dans les
fossés, trépigne de joie et pousse d'énergiques acclamations.
Chacun naturellement prend parti pour les bidets de sa commune. Les
gens du bourg de Batz, de Saillé, du Pouliguen, d'Escoublac, de
Piriac, guettent les pays au passage, excitent les cavaliers,
sortent même des rangs pour taper sur les mules à grands coups de
chapeaux et de mouchoirs. Il n'est pas jusqu'aux coiffes blanches
qui ne se dressent tout à coup, en papillonnant au vent de mer,
pour voir passer Jean-Marie Mahé, ou Jean-Marie Madec, ou quelque
autre Jean-Marie. Après les mulets, viennent les chevaux et les
juments du pays, un peu moins têtus, un peu moins sauvages, mais
pleins d'ardeur tout de même et se disputant vaillamment le prix de
la course. Leur trot retentissant laboure la terre de la
piste ; et pendant qu'ils courent, on voit au delà, sur la mer
secouée par un vent terrible, une voile de pêcheur qui cingle
péniblement vers le Croizic. Le spectacle reçoit de ce voisinage
une grandeur extraordinaire ; et les chevaux, les voitures
roulant au retour sur la route, les groupes disséminés à travers la
plaine, tout se détache sur un fond verdâtre et mouvant, un horizon
plein de vie et d'immensité.
Quand nous rentrons à Guérande, le jour
commence à baisser. On prépare des illuminations, des lanternes de
couleur dans les grands arbres des promenades, un feu d'artifice
sur la place de l'église, une estrade au bas des remparts pour les
joueurs de biniou. Mais voilà qu'une méchante petite pluie, aiguë
et fine comme du grésil, vient déranger la fête. Tout le monde se
réfugie dans les hôtelleries, devant lesquelles, les charrettes,
les voitures dételées et ruisselantes, stationnent les brancards en
l'air. Pendant une heure, la ville est silencieuse ; puis les
bandes de tantôt traversent les rues noires en chantant. Les
grandes coiffes et les petits châles verts se hasardent dehors deux
par deux. On a parlé de danser un branle, et on le dansera malgré
la pluie. Ah dame ! Oui dame !… Bientôt toute cette
jeunesse s'installe à droite et à gauche dans les salles basses des
cabarets. Les uns dansent au son des binious, les autres « au
son des bouches », comme ils disent par ici. Les planchers
tremblent, les lampions sont épaissis de poussière, et le même
refrain lent et mélancolique retentit partout lourdement. Pendant
ce temps, les voitures, les carrioles s'écoulent par les cinq
portes de la ville. Les vieux manoirs se referment, et les
broussailles fleuries qui garnissent les remparts semblent dans la
nuit grandir, se rejoindre, se confondre, comme sous la baguette
des fées les buissons enchantés qui entouraient le château de la
Belle au bois dormant.
Une visite à l'île de Houat
Une belle lumière d'été, égale et limpide,
achevait de se lever dans la baie de Quiberon, comme nous mettions
le pied sur le bateau-pilote destiné à nous conduire à
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