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Souvenirs d'un homme de lettres

Souvenirs d'un homme de lettres

Titel: Souvenirs d'un homme de lettres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alphonse Daudet
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l'île de
Houat. La brise, toujours éveillée sur quelque point de cet horizon
de mer, poussait la voile droit au but et nous arrivait en rasant
les vagues qu'elle fronçait d'un frisson serré.
    Au loin, des côtes se devinaient à quelque
plage de sable, à quelque maison blanche subitement frappée de
soleil, éclatantes entre le bleu nuancé des vagues et le bleu
monotone du ciel où couraient seulement ces nuées légères,
fouettées, effrangées, que les marins appellent ici des
« queues de cheval », et qui présagent un vent frais pour
le soir.
    La traversée nous a semblé courte.
    Rien de plus uniforme en apparence que la mer
par un beau temps ; des vagues qui se succèdent d'un rythme
égal, se brisent au bateau en mousses murmurantes, s'enflent, se
creusent, remuées par une lourdeur inquiète où l'orage est
latent ; et pourtant rien de plus varié. Tout prend une valeur
énorme sur cette surface douée de mouvement et de vie. Ce sont des
navires au large, le paquebot-poste de Belle-Isle qui passe au
loin, sa fumée en panache, des barques de pêche avec leurs voiles
blanches ou trempées de tan, des troupes de marsouins roulant sur
le flot que coupe leur nageoire aiguë, puis des îlots d'où
s'envolent tumultueusement des tourbillons de mouettes ou quelque
troupe de cormorans avec leurs larges ailes d'oiseaux de proie
faites pour planer et pour fuir.
    En passant, nous longeons le phare de la
Teignouse, perché sur un rocher ; et quoique notre vitesse
soit très grande, nous avons une vision très nette du récif et des
deux vies humaines qui s'y abritent. Au moment où nous passons,
l'un des gardiens, sa blouse toute gonflée par le vent, descend la
petite échelle de cuivre à pic sur l'îlot et qui sert d'escalier
extérieur. Son compagnon, assis dans un creux de roche, pêche
mélancoliquement ; et la vue de ces deux silhouettes si menues
dans l'étendue environnante, la maçonnerie blanche du phare, sa
lanterne blafarde à cette heure, les poids de la grosse cloche à
vapeur qui sonne par les nuits de brume, tous ces détails entrevus
suffisent à nous donner une impression frappante de cet exil en
pleine mer et de l'existence des gardiens enfermés, pendant des
semaines, dans cette tourelle de tôle sonore et creuse où la mer et
le vent répercutent leur voix avec une férocité si grande, que les
hommes en sont réduits à se crier dans l'oreille pour se faire
entendre l'un de l'autre.
    Une fois le phare doublé, l'île de Houat
commence à nous apparaître peu à peu, à élever au-dessus des houles
de la mer sa terre rocheuse où le soleil jette un mirage de
végétation, des teintes de moissons mûres, des veloutés de prés en
herbe.
    À mesure que nous approchons, l'aspect change,
le terrain véritable apparaît, désolé, brûlé de soleil et de mer,
hérissé de hauteurs farouches ; à droite, un fort démantelé,
abandonné ; à gauche, un moulin gris qui nous donne la vitesse
des brises de terre, et quelques toits très bas groupés autour de
leur clocher ; tout cela morne, espacé, silencieux. On
croirait l'endroit inhabité, si des troupeaux épars sur les pentes,
dans les vallons rugueux de l'île, ne se montraient de loin,
errants, couchés ou broutant de maigres végétations sauvages.
    Des criques de sable découpent de distance en
distance des courbes claires et moelleuses parmi la désolation des
roches. C'est dans une de ces criques que nous débarquons, non sans
peine, car à la marée basse le bord manque de fond pour la
chaloupe, et l'on est obligé de nous déposer sur des pierres
mouillées et glissantes où le goémon accroche ses longues
chevelures vertes que l'eau déroule et dilate, mais qui s'amassent
pour le moment en lourds paquets gluants sur lesquels le pied
manque à chaque pas. Enfin, après bien des efforts, nous nous
hissons sur les hautes falaises dominant tout l'horizon
d'alentour.
    Par ce temps clair qui rapproche les côtes, le
coup d'œil est admirable. Voici le clocher du Croisic, celui du
Bourg-de-Batz à dix ou douze lieues de mer, et toute la dentelure
du Morbihan, Saint-Gildas-de-Rhuiz, les rivières de Vannes et
d'Auray, Locmariaquer, Plouharmel, Carnac, le Bourg-de-Quiberon et
les petits hameaux qu'il éparpille tout le long de la presqu'île.
Du côté opposé, la ligne sombre de Belle-Isle se prolonge vers la
mer sauvage, et les maisons du Palais reluisent dans une éclaircie.
Mais si la perspective des alentours s'est agrandie, celle

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