Spartacus
encore parmi les cendres de nos feux, les cris de nos guetteurs ont déchiré le silence et la brume.
Spartacus s’est dressé le premier, et au fur et à mesure que les cris se rapprochaient, semblaient se faire plus aigus, et les voix plus haletantes, les hommes les uns après les autres se sont levés, se rapprochant de Spartacus, se serrant épaule contre épaule, Crixos le Gaulois au premier rang.
Enfin, courant entre les vignes et les arbres des vergers, les guetteurs sont apparus, s’accrochant aux épaules des gladiateurs, à celles de Spartacus, pour ne pas s’effondrer, reprendre haleine tout en prononçant des phrases hachées.
Une armée romaine, dirent-ils, avait quitté Cumes. Elle se dirigeait vers nous, marchant d’un pas rapide, celui de la vengeance. Elle était précédée d’éclaireurs et guidée par un ancien gladiateur du ludus de Capoue, un homme qui connaissait la Campanie, un taureau furieux et noir.
Curius a dit qu’il s’agissait de Vacerra, l’homme dont Lentulus Balatius avait fait son maître d’armes.
Les éclaireurs romains avaient surpris deux de nos guetteurs endormis. On avait entendu le claquement des fouets à boules de fer et les hurlements de ces deux jeunes hommes.
Les guetteurs se sont tournés vers moi. C’est ainsi que j’ai appris que Scorpus et Alcius, dont la jeunesse et les rires, les bavardages, les corps minces et lisses, les peaux blanche et brune avaient peuplé mes nuits et mes jours, avaient été suppliciés, fouettés, cloués encore vivants aux branches de grands pommiers, parmi les fruits qu’aiment à becqueter les oiseaux.
— Vacerra, on l’écorchera vif, a murmuré près de moi Crixos le Gaulois.
Il a levé son glaive, dit qu’il fallait aller à la rencontre de cette armée, en tuer le chef, légat ou préteur, et lui faire subir le même sort qu’aux centuries de Furius.
D’un geste, il a rappelé comment il avait fiché son glaive dans la poitrine du légat.
— Je vais recommencer avec celui-là ! a-t-il clamé.
— Chaque jour est différent des précédents, a énoncé Spartacus d’une voix forte.
Il a parlé longuement. Les Romains, a-t-il dit, ont vu les corps nus, mutilés, dévorés de leurs camarades ; ils sont aveuglés par la haine et l’impatience. Il faut leur faire croire que la peur qu’ils nous inspirent nous tenaille. Ils doivent penser que nous fuyons.
Il s’est tourné vers Curius.
— Avec toi, Curius, nous avons appris l’esquive. Il convient de nous dérober. Il faut que l’énervement de la chasse vaine, des coups donnés dans le vide les épuise. Alors, alors seulement nous frapperons. Nous n’attaquerons pas de front, mais par les flancs, sur les arrières de cette troupe.
— Tu ne combats pas comme un Gaulois ! s’est emporté Crixos.
— Je suis thrace, a répliqué Spartacus en fixant le Gaulois qui se balançait d’un pied sur l’autre.
Puis Spartacus s’est détourné et s’est mis en marche, et tous les hommes lui ont emboîté le pas.
Nous avons regagné les pentes du mont Vésuve, à l’écart des chemins que suivait l’armée romaine.
Le vent poussait parfois jusqu’à nous les battements sourds de ses tambours, les sons aigus de ses flûtes.
Nous devinions les lieux de halte à la poussière qui s’élevait au-dessus de la plaine et aux feux qui, la nuit, marquaient les limites et le centre du camp.
Ces arrêts devenaient de plus en plus longs, comme si, déjà, après quelques jours de chasse infructueuse, la fatigue et le dépit avaient remplacé chez les Romains la volonté, la haine et la fougue.
Une nuit, nos guetteurs revinrent, poussant devant eux deux jeunes soldats qu’ils avaient trouvés, errant dans la campagne. Ils les avaient capturés sans que ceux-ci cherchent à résister ou à fuir. On lisait sur leurs visages l’effroi et l’innocence.
Ils me rappelaient Scorpus et Alcius, en plus rudes. Mais j’aurais su, en confiant leurs corps aux soins des masseurs, les affiner, et j’aurais pris plaisir à caresser leurs muscles saillants, leurs cheveux ras.
Crixos a dit qu’on devait les égorger, qu’il s’agissait de deux espions, et les gladiateurs s’étaient déjà rassemblés, les entourant, quelques-uns criant qu’il fallait les contraindre à se battre l’un contre l’autre ; le vainqueur aurait peut-être – cette incertitude déclenchait de grands rires – la vie sauve.
J’ai alors proposé de racheter
Weitere Kostenlose Bücher