Spartacus
l’ombre des pommiers sur une épaisse couche de fruits pourris. Je regardais les gladiateurs, les bouviers, les bergers, les esclaves, les plus miséreux des hommes libres, qui nous avaient rejoints. Tous portaient des armes ou des casques, des boucliers, des cuirasses dont ils avaient dépouillé les cadavres des Romains tués les jours précédents.
J’entendais leur respiration haletante. Je devinais leur impatience.
Spartacus était près de moi, le corps ramassé, prêt à bondir.
Il a chuchoté :
— Je vais tuer le légat.
En rampant, Crixos s’est rapproché de nous.
— Pourquoi toi ? a-t-il dit.
— Parce que je suis Spartacus et que je le veux !
— Laisse les dieux décider.
— Ils ont choisi, Crixos. Oublie le légat, égorge les centurions et les légionnaires.
— À qui reviendra le cheval du légat ? a demandé Crixos.
— Je tuerai d’abord le cheval, a murmuré Spartacus en se redressant.
Les hommes autour de lui l’ont imité. Il s’est élancé en criant, et des fossés, des buissons, des vergers et des champs les gladiateurs, les bouviers, les bergers, les esclaves et tous les autres ont bondi, hurlé, frappant les légionnaires comme une averse de grêle inattendue couche les blés mûrs.
J’ai vu s’abattre, un flot de sang jaillissant de son garrot, le cheval du légat. Celui-ci avait la jambe écrasée par le flanc de sa monture. Spartacus a posé la pointe de sa lame sur la gorge de Furius qui tentait de se remettre debout.
Le Thrace a reculé d’un pas, laissant Furius se lever et empoigner son glaive, faire face.
Mais, tout à coup, derrière Furius a surgi Crixos le Gaulois, qui a crié :
— Retourne-toi, légat !
Furius a trébuché en voulant affronter ce nouvel assaillant, et Crixos lui a enfoncé son glaive en plein dans la poitrine.
Son sang, comme celui du cheval, a bouillonné, Furius serrant entre ses mains la lame qui le tuait.
Je me suis avancé pour me placer entre Crixos et Spartacus qui se défiaient.
Puis ce dernier a tourné le dos au Gaulois et s’est mis à déambuler parmi les cadavres déjà détroussés et dénudés.
Ces corps que commençaient à lacérer les rapaces au long bec jaune et noir venus de la mer, et que les loups, leurs yeux aux éclats verts brillant dans la nuit, dépeçaient avec une rage silencieuse, étaient tout ce qui restait de l’armée de Furius après sept jours de combats.
Le soir, pour la première fois depuis le début de la bataille, les bergers ont allumé de grands feux dont on devait voir les flammes depuis l’acropole de Cumes.
Crixos le Gaulois allait en titubant d’un brasier à l’autre, arrachant des lambeaux de viande à ces quartiers de bœuf et à ces moutons que l’on avait embrochés, dont la chair grasse grésillait, son odeur supplantant peu à peu celle, sucrée, des fruits blets.
Il portait la cuirasse et brandissait le glaive de Furius, criant que les Romains ne seraient plus jamais maître de la Campanie, qu’il fallait marcher sur Rome comme l’avaient fait autrefois les Gaulois qui avaient conquis la ville.
Il gesticulait et paradait devant Spartacus qui, assis à l’écart, demeurait silencieux.
Crixos a hésité, puis s’est éloigné, frappant l’air de son glaive, hurlant qu’il avait tué le légat, qu’aucun de ces Romains ne lui ferait plier le genou, qu’il les vaincrait comme il l’avait fait dans l’arène, terrassant des géants, des ours et des lions, puis, tout d’un coup, sa silhouette s’est affaissée et il s’est endormi la tête dans la boue.
J’ai rejoint Spartacus. Apollonia lui avait apporté un morceau de viande de mouton dans laquelle il mordait sans hâte, les yeux mi-clos.
— J’ai laissé Crixos tuer le légat, a-t-il murmuré. Tu m’as dit, Posidionos, que les cités grecques s’étaient opposées les unes aux autres, que les peuples s’étaient divisés et que, pour cette raison, les Romains l’avaient emporté.
Il est resté longuement silencieux avant d’ajouter :
— Je ne me battrai pas contre Crixos.
Il s’est tourné vers la mer, vers Cumes.
— Après le légat, a-t-il murmuré, viendront les préteurs, puis les consuls et les légions.
Secouant la tête, il a répété :
— Rome, Rome, que veulent les dieux ?
Il s’est laissé aller en arrière et, appuyé sur les coudes, offrant sa gorge, il a sondé le ciel.
Le jour s’est levé et, alors que les braises rougeoyaient
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