Spartacus
avait revu sur le marché aux esclaves, à Rome. Là, le Grec avait voulu l’acheter, mais c’était Lentulus Balatius qui, pour cinquante talents, l’avait emporté.
Spartacus se penche sur Posidionos.
— Tu veux me voir, me parler ? Me voici.
Il détourne les yeux. Il n’aime pas le regard du Grec, aussi doux que celui d’un chien qui attend son os.
— Explique-toi, continue-t-il d’un ton brutal, comme on donne un coup de pied pour repousser un animal qui s’obstine. Tu es un homme libre, un citoyen de Rome, tu possèdes des esclaves. Que fais-tu ici ? Tu es l’œil et l’oreille du préteur ? On ne te laissera ni l’un ni l’autre.
Ils sont entrés dans la villa. L’atrium est envahi par une fumée épaisse, comme si elle s’y était entassée, constellée d’éclats rougeâtres. Spartacus se penche, plonge la tête dans l’impluvium. Posidionos l’imite.
— Le légat Furius, avec deux mille hommes, a quitté, hier, le camp de Cumes pour t’attaquer, dit-il. Le préteur Varinius a été chargé par le Sénat de ne pas laisser un seul esclave vivant, du Vésuve au cours du Vultume, de Nola jusqu’à Capoue et Cumes.
— Tu tiens à tes deux mignons, observe Spartacus. Et tu as craint aussi pour ta vie. Tu es citoyen romain, mais tu reste grec : un vaincu.
— Je ne veux pas que tu sois vaincu, murmure Posidionos.
Il baisse les yeux comme si cet aveu le gênait.
— Je veux que tu vives ! poursuit-il d’une voix affermie.
Il redresse la tête.
— Ta victoire sera celle de tous ceux que les Romains méprisent, de tous les peuples qu’ils ont battus. Je veux rester près de toi pour écrire le récit de ta guerre. J’ai lu celui de Diodore de Sicile sur les guerres serviles de son île. Je raconterai la tienne.
— Ce Grec ! grogne Crixos le Gaulois en brandissant son poignard. Prends garde, il t’ensevelit sous les mots, Spartacus ! Les Grecs sont ainsi. Ils parlent, ils te lient le corps avec leur discours. Mais ils restent dans le camp des maîtres. Ils sont toujours les alliés et les serviteurs des Romains. Méfie-toi de celui-ci. Il te livrera. Laisse-moi le tuer, Spartacus, ou lui arracher la langue.
— Qui le menace, qui le touche, qui l’humilie m’aura en face de lui ! décrète Spartacus. Posidionos le Grec est avec moi. Il est libre d’aller où bon lui semble.
— Les dieux t’aveuglent, lâche Crixos en s’éloignant.
Spartacus s’assoit sur le bord de l’impluvium et invite Posidionos à prendre place auprès de lui.
— L’incendie affole les Romains, commence le Grec. Ils sont comme ces bêtes que les flammes rendent furieuses et terrorisent. Ils ont besoin des récoltes. Tu les ruines. Ils savent qu’à Rome il faut du grain pour la plèbe. Ils craignent une révolte des plus pauvres citoyens.
Posidionos s’interrompt, fixe Spartacus, et son regard est si tendre, si insistant que le Thrace détourne les yeux.
— Si des hommes libres, les plus miséreux, se joignaient à toi et aux esclaves, reprend Posidionos, alors c’est Rome tout entière qui vacillerait.
Le Grec pose la main sur la cuisse de Spartacus.
— Tu as ce pouvoir entre tes mains.
Spartacus s’écarte, se détourne, plonge son visage dans l’eau.
— Qui connaît l’avenir ? murmure-t-il. Les dieux, peut-être, mais ils sont silencieux. Dis-moi ce que tu sais de ces préteurs, Varinius et Martial Cossinius, de ce légat, Furius.
— Les troupes de celui-ci sont en marche, répond Posidionos. Elles viennent à toi, vers l’incendie, sûres de te vaincre.
Spartacus se lève et traverse à grands pas l’atrium.
33
Moi, Posidionos, j’ai marché aux côtés de Spartacus tout au long de ces jours d’automne, les premiers de sa guerre, pendant lesquels les dieux ne cessèrent jamais de veiller sur lui.
Ils s’employèrent au contraire à égarer le légat Furius et les préteurs Varinius et Cossinius qui s’étaient aventurés dans la plaine avec l’insolente témérité et le mépris de chasseurs traquant du petit gibier.
Furius fut le premier à perdre la raison et la vie.
Nous le guettions, couchés dans les champs de blé que l’incendie n’avait pas encore consumés, ou bien dans les vergers et les vignobles.
Il chevauchait à la tête de ses centuries si nombreuses que leur colonne s’étirait de Cumes jusqu’aux abords de Nola. Il avançait vers les fumées et les flammes de l’incendie, persuadé que là était
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