Spartacus
leurs vies aux bergers qui les avaient faits prisonniers.
On m’a menacé, accusé de me conduire comme l’un de ces maîtres dont on voulait débarrasser la surface de la terre.
J’ai cru qu’on allait me lapider. Puis Spartacus s’est avancé, a dévisagé les deux soldats, liés l’un à l’autre par le cou, les jambes et les bras entravés.
Il a entrepris de les interroger.
Ils étaient paysans en Cisalpine, gaulois, donc, mais ne possédaient plus de terre, et ils s’étaient enrôlés parce que le ventre doit être rempli. Ils avaient alors vu les corps de leurs camarades partis avec le légat Furius ; ils avaient assisté à la flagellation et à la crucifixion de deux jeunes esclaves dont je n’ignorais plus qu’il s’agissait de Scorpus et d’Alcius.
Ils avaient pris peur.
Le préteur qui les commandait, Martial Cossinius, menaçait du fouet chacun des hommes de son armée. Nul n’aurait survécu à la peine de cent coups qu’il infligeait.
Aussi avaient-ils fui, profitant du désordre qu’avait provoqué le départ du préteur Cossinius. Celui-ci avait décidé de quitter le camp pour aller prendre ses bains à Salinae, sur la côte, entre Pompéi et Herculanum. Ses légats et ses centurions avaient tenté de l’en dissuader, mais le préteur avait déjà choisi son escorte, fait charger ses bagages sur deux chariots, et il avait pris la route. Les deux jeunes recrues avaient pensé que, dans le relâchement consécutif à son départ, leur fuite ne serait découverte qu’à son retour.
— Salinae ? a répété Spartacus.
Nos guetteurs, des bergers qui avaient abandonné leurs maîtres et leurs troupeaux pour s’enrôler dans l’armée de Spartacus, connaissaient chaque motte de terre, chaque touffe d’herbe de la Campanie.
— Salinae ? a questionné une nouvelle fois Spartacus.
C’étaient quelques villas construites entre la côte sableuse, rectiligne, et les premiers contreforts du mont Vésuve. La mer y était verte, claire ; des sources d’eau chaude jaillissaient à quelques pas du rivage.
— Les maîtres s’y baignent, a dit l’un des bergers. Les sources chaudes viennent du fond de la terre. Elles donnent de la force.
— Elles vont donner la mort ! a lancé Spartacus.
Il a rassemblé les gladiateurs.
— Nous allons tuer le préteur Cossinius, a-t-il dit. Son armée ne sera plus qu’un poulet dont on a tranché la tête. Il peut encore faire quelques bonds, mais il est déjà mort.
Nous avons marché toute la nuit, descendant et remontant les vallons qui, comme des sillons profonds, creusent les flancs du mont Vésuve.
À l’aube, nous avons vu la mer, son long rivage droit.
Les chariots à bagages du préteur Cossinius étaient disposés côte à côte sur la plage où de grandes tentes avaient été dressées.
Nous nous sommes approchés, cachés par les buissons qui couvrent les pentes du Vésuve dont la terre grisâtre disparaît sous le sable blanc du rivage.
Puis nous avons attendu.
Quand le soleil fut haut, le préteur s’est dirigé vers cette mer brillante comme un plat d’argent.
Spartacus et Crixos le Gaulois, suivis par des centaines d’hommes, ont bondi.
Et le sable et la mer sont devenus rouges.
Œnomaus le Germain a tranché la tête du préteur et l’a brandie à la pointe de son javelot.
Dans les jours qui ont suivi, chaque fois que nous attaquions l’armée romaine, devenue notre proie, il s’élançait le premier, l’exhibant comme un emblème, et les premiers rangs des centurions refluaient, cependant qu’Œnomaus répétait le nom du préteur comme on lance un cri de guerre.
Des soldats jetaient leurs armes et s’enfuyaient devant cette meute qui portait les casques, les boucliers, les tuniques des morts. Ceux qui résistaient succombaient au nombre et à la fin s’agenouillaient, renversant la tête en arrière, les yeux clos, attendant le coup de lame sur leur gorge.
Ceux qui mouraient ainsi étaient les protégés des dieux.
Mais d’autres étaient la proie de ces esclaves qui, de plus en plus nombreux, surgissaient des bois, des vergers et des buissons, et se ruaient dans la bataille, armés de pieux, écartelant les corps encore vivants.
Ainsi est mort Vacerra, reconnu par des esclaves qui avaient fui le domaine de Lentulus Balatius et lui firent payer la cruauté de leur maître.
Je me tenais à l’écart, souvent assis aux côtés de Jaïr le Juif dont le visage exprimait la
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