Spartacus
des légions de Crassus déferlait sur nous. Elle invoquait alors Dionysos. Sa voix exaltée devenait presque allègre quand le roulement s’estompait, que seule une rumeur, une écume de bruit demeurait, que le vent parfois même effaçait.
Alors Apollonia criait que Dionysos n’avait pas abandonné Spartacus, que l’on allait échapper aux Romains, voire, qui sait, les vaincre.
Puis le vent portait à nouveau, plus fort, les roulements de tambour et Apollonia criait d’une voix aiguë le nom de Dionysos.
Spartacus ne bougeait pas.
Pourtant, d’autres cris montaient de la plaine, des abords des murailles de Thurii. Les esclaves y étaient rassemblés, mais le tumulte gagnait leurs rangs. Ils regardaient vers l’intérieur des terres ce nuage de poussière qui devenait plus sombre ; ils se tournaient, cherchant ces navires sur lesquels, leur avait dit les hommes de Curius, ils devaient embarquer pour gagner la Sicile et y fonder avec les esclaves de l’île une invincible République des hommes libres.
J’apercevais les silhouettes des hommes de Curius. Les esclaves les entouraient, commençaient à les malmener.
D’autres esclaves s’étaient regroupés autour du corps du Gaulois Calixte. Ils se passaient des blocs de pierre et, peu à peu, je vis s’élever un tumulus. Aucun des hommes de Curius n’osait les empêcher de célébrer ainsi le souvenir de celui que Spartacus avait châtié.
— Ils ne vont plus obéir si tu te tais, a crié Curius en s’approchant de Spartacus, qui était en compagnie de Posidionos.
Le rhéteur grec l’approuva. Il fallait donner des ordres, quitter au plus vite les lieux que les légions de Crassus allaient investir. Elles étaient toutes proches. Spartacus n’entendait-il pas leurs tambours ? Ne voyait-il pas la poussière que soulevaient les pas des soldats et les chevaux de la cavalerie ? On ne pouvait les affronter avec une troupe d’esclaves. Il fallait marcher vers Rhegium où les navires pirates feraient escale. On pourrait, par ruse, s’emparer de l’un d’eux et franchir le détroit.
Posidionos et Curius connaissaient les chemins conduisant jusqu’à Rhegium ; ils serpentaient dans les forêts de pins et de hêtres des monts Silas. Les pentes étaient si raides que les chevaux des légions et même les fantassins lourdement chargés ne pourraient les gravir. On s’y cacherait dans les futaies, les grottes, sur les plateaux, au pied des falaises, en attendant de s’emparer d’un vaisseau ou d’en acheter le capitaine.
Puis Posidionos, d’une voix lugubre, a évoqué le sort de Pythias.
— Tu l’as envoyé à la mort, Spartacus, a-t-il dit.
Spartacus s’est retourné, la main crispée sur le pommeau de son glaive, et j’ai craint qu’il ne tue Posidionos le Grec comme il avait tué Calixte le Gaulois, faisant voler loin sa tête d’un coup de lame.
Mais il s’est contenté, d’un geste brutal de son avant-bras gauche, d’écarter Posidionos. Et Curius a reculé.
Spartacus s’est approché de moi.
Son pas était rapide, sa voix, qui lançait des ordres à Curius, assurée. Il fallait, dit-il, reprenant les suggestions de Posidionos, se mettre en marche vers Rhegium et établir le camp dans les forêts des monts Silas.
— Ces monts seront notre nouveau Vésuve et nous tuerons Crassus comme nous avons tué Glaber, les légats et les préteurs.
Curius s’est élancé en courant vers les murailles de Thurii, hurlant à ses hommes qu’on se mettait en marche.
J’ai vu peu à peu le troupeau s’ordonner, se diriger vers ces monts Silas dont on apercevait, depuis la butte où nous nous trouvions, les cimes à demi enveloppées par les nuages.
Car le temps s’était couvert.
Spartacus s’est immobilisé devant moi et je me suis levé.
J’ai alors découvert son regard qui démentait l’énergie et la force de son corps, la fermeté de sa voix.
Ses yeux étaient voilés, son regard se dérobait, comme attiré par l’horizon ou le ciel bas.
Il m’a cependant fixé et, bien qu’il ne m’ait posé aucune question, j’ai murmuré ce que je lui avais déjà dit :
— Dieu sait, Dieu juge.
— Je ne voulais pas piller cette ville, a-t-il dit. Je ne voulais pas voler cet or. Je voulais m’allier avec les habitants de Thurii. Mais ce Gaulois…
— Tu as tué le Gaulois. Tu as pris l’or. Et le pirate te l’a pris.
J’ai répété :
— Dieu sait. Dieu juge.
J’ai vu ses doigts se
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