Spartacus
repris l’attitude servile qui avait été la leur avant leur fuite et leur rébellion.
Eux qui jusqu’à la mort du Gaulois avaient eu un regard plein de fierté, de hargne et même de folie détournaient la tête pour qu’on ne vît pas leurs yeux.
J’ai répété à Spartacus que ces hommes qui s’étaient voulus libres n’oublieraient jamais qu’il avait traité l’un d’eux avec l’impitoyable cruauté d’un maître romain.
Qu’il se méfie : il avait châtié le Gaulois comme on fait d’un esclave, mais quel maître peut faire confiance à un esclave ?
La peur gouverne les animaux, mais les esclaves – et Spartacus le savait, puisqu’il avait été l’un d’eux –, même si les Romains les considéraient comme des bêtes de trait ou des animaux sauvages, étaient des hommes ; et, les hommes, un jour vient où ils se révoltent contre ceux qui les oppriment.
Ces hommes-là, ce Gaulois-là, et Spartacus le premier, l’avaient fait.
Qu’il demeure donc sur ses gardes : les bêtes obéissent, on les croit soumises, et, un beau jour, d’un coup de patte elles broient la tête de leur dompteur ou bien s’enfuient.
— Ils n’oublieront pas que tu as tranché la tête de l’un des leurs.
Spartacus s’est penché vers moi.
— Personne n’oublie, a-t-il répondu d’une voix rauque, les mâchoires serrées. Moi non plus je n’oublie pas. Mais regarde-les !
Il s’est redressé.
Devant les murailles de Thurii, des esclaves protégés par leurs boucliers et armés de bâtons se battaient, encouragés par les cris des hommes de Curius.
— Maintenant ils obéissent, a constaté Spartacus.
Tout à coup, il y a eu des cris. Les guetteurs avaient aperçu les voiles des pirates ciliciens qui doublaient le cap et entraient dans le golfe de Tarente.
— Nous passerons en Sicile, a dit Spartacus. Et, avec cette troupe-là, je conquerrai l’île. Je libérerai tous les esclaves. Nous contrôlerons le blé et nous tiendrons Rome par le ventre. La plèbe, les citoyens pauvres rejoindront partout les esclaves. La révolte embrasera Rome et toutes les provinces de la République. Crois-tu que cela ne valait pas la tête d’un Gaulois ?
Je me suis souvenu de l’enseignement du Maître de Justice : « Rien ne vaut la vie d’un homme », avait-il répété.
Mais je me suis tu.
Spartacus découvrirait seul qu’il lui faudrait rendre, au milieu des tourments, la vie qu’il avait prise.
Telle est la loi du Dieu de Justice.
53
— Je n’avais pas revu Spartacus depuis que j’avais quitté la ville de Thurii en compagnie de Pythias, cet ancien esclave de Crassus, grec comme moi, raconte Posidionos.
Escortés par les hommes de Curius, nous avions marché plusieurs jours dans les forêts qui couvrent les monts Silas. Leurs cimes escarpées sont comme une grosse arête séparant en deux la presqu’île du Bruttium, cette extrême pointe de l’Italie qu’un détroit venté sépare de la Sicile.
Spartacus nous avait chargés de rencontrer les pirates ciliciens dont les navires font souvent relâche dans la rade et le port de Rhegium. Il espérait que l’un de leurs chefs, un Grec nommé Axios, accepterait, si on lui proposait de l’or, de faire traverser le détroit à quelques milliers d’esclaves.
J’avais vu les sacs remplis de pièces et d’objets précieux.
Spartacus m’avait répété que nous devions parler aux pirates d’une armée, et non pas d’esclaves.
— J’aurai bientôt fait de ces animaux des soldats, avait-il ajouté.
Et c’est pour gouverner ce qui n’était toujours et encore qu’une horde indisciplinée qu’il avait tué de sa main le Gaulois qui l’avait défié.
Contrairement à Jaïr le Juif dont la tête était embrumée par les préceptes de son Dieu, j’avais approuvé cet acte. Hérodote et Thucydide, entre bien d’autres rhéteurs et historiens grecs, l’avaient écrit : seule la peur du châtiment fait obéir les hommes qui doivent combattre et affronter la mort.
Dès notre arrivée à Rhegium, nous nous fîmes conduire par des pêcheurs jusqu’au plus grand des navires ciliciens.
Nous essayâmes, Pythias et moi, de dissimuler nos craintes.
Les pirates aux torses couturés, aux visages balafrés nous accueillirent par des ricanements, se moquant de notre présomption. Nous prétendions, disaient-ils, vaincre les légions romaines alors que nous n’étions qu’un troupeau d’esclaves ? Ils
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