Spartacus
comprenaient pourquoi nous cherchions à fuir en Sicile. Mais savions-nous que Verrès, le propréteur romain de l’île, avait massé ses légions sur les côtes du détroit ? Il avait fait construire des forts, un mur, des tours de guet. L’un de ces pirates lança même : « Retournez chez vos maîtres romains, implorez leur pardon ! Peut-être se contenteront-ils de vous faire fouetter, mais vous survivrez. Pourquoi prendrions-nous, nous, le risque d’une alliance avec des esclaves ? Nous sommes libres depuis toujours, et Rome nous craint. »
Je n’avais pas répondu, exigeant seulement de rencontrer leur chef, Axios.
Enfin on nous conduisit auprès de lui.
Il pleuvait. Axios s’abritait de l’averse sous une voile pourpre que le vent faisait claquer.
Il ressemblait à un félin. Son corps était enveloppé dans une tunique rouge brodée d’innombrables fil d’or. Ses yeux n’étaient que deux fentes dans un visage creusé de rides profondes. Le sillon d’une cicatrice partageait par le milieu son crâne rasé.
Je lui dis que j’étais rhéteur, homme libre, que j’avais enseigné la philosophie à Rhodes, vécu en patricien à Rome, que j’avais parcouru toutes les provinces de la République et visité la plupart des îles de la Méditerranée.
— Et lui ? demanda-t-il en désignant Pythias d’un mouvement du menton.
— Grec, architecte. J’ai servi le préteur Crassus, devenu proconsul, l’homme le plus riche de Rome.
Axios entrouvrit un bref instant les paupières.
— Que faites-vous avec ces animaux qui brûlent les villes, détruisent et tuent au lieu de profiter de leurs conquêtes ?
— Tu connais les hommes de guerre, répondis-je. Spartacus a fait de ce troupeau une armée. Elle a vaincu des préteurs, des légats, des consuls et leurs légions. Nous sommes avec lui parce que nous sommes grecs et que nous méprisons les Romains.
— Rome se souvient toujours de ses ennemis. Elle se venge.
— Nous avons de l’or, beaucoup d’or.
Il ouvrit pour de bon les yeux.
— Que voulez-vous ?
— Passer en Sicile. Tu auras de l’or, et tout notre butin.
Il redevint ce félin ramassé sur lui-même, aux grosses pattes croisées sur la poitrine.
Il fit un geste pour nous indiquer qu’il en avait assez entendu.
Au moment où nous quittions le navire, un pirate nous cria qu’Axios nous attendait le lendemain.
Nous le vîmes plusieurs jours de suite. Il voulait que je lui parle de l’or. Combien de pièces, de vases, de bijoux ? les avais-je vus ? Après mes réponses, il s’enfermait dans le silence et paraissait somnoler. Puis, au bout d’un long moment, il nous invitait à revenir.
J’imaginais qu’il avait envoyé à terre quelques-uns de ses hommes afin de recueillir des renseignements et qu’il attendait leur retour. Il voulait sans doute connaître nos forces et celles du proconsul Crassus, évaluer les chances qu’il avait d’échapper à la vindicte de Rome s’il nous aidait, et si l’or et le butin que nous lui proposions valaient qu’il prît le risque de susciter sa colère.
Un jour, enfin, il nous dit qu’il ferait appareiller ses navires le lendemain et se rendrait dans le golfe de Tarente. Nous étions invités à rester à son bord.
Nous avertîmes les hommes de Curius et, après quelques jours de mer, nous aperçûmes les murailles et la tour de la ville de Thurii et, sur une hauteur dominant le rivage, la tente de Spartacus.
Axios fit abaisser les voiles et les cinq navires de sa petite flotte s’ancrèrent à l’abri du cap qui, au sud, ferme le golfe de Tarente.
Il nous entraîna jusqu’à la proue, nous montra cette poussière qui s’élevait et masquait l’horizon, au loin, au-delà de Thurii, dans l’intérieur des terres.
— Ce sont les légions de Crassus, dit-il. Il faut faire vite. Dis à Spartacus que je prendrai sur mes navires deux mille de ses hommes et les conduirai en Sicile. Pas un de plus.
— Veux-tu voir Spartacus ?
— Je sais tout de lui.
Il mit la main sur mon épaule.
— Mais c’est l’or, les bijoux que je veux voir !
Il devina mon hésitation.
— Sous le regard des dieux, reprit-il, je m’engage à vous transporter, je fais serment que deux mille hommes débarqueront en Sicile sur une côte sûre. Mais j’attends de Spartacus qu’il m’accorde sa confiance. Je veux l’or à mon bord avant les hommes.
Il se tourna, appela l’un des pirates.
— Je lui
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