Staline
arrêté et fusillé des centaines de
ses agents pour actes de violence et de pillage suscités par la faim [390] . Les directeurs
communistes, habitués à commissionner et à voter des résolutions kilométriques,
ne sont nullement décidés à subir le même sort. Ils cherchent un protecteur afin
de riposter. Staline, placé au cœur des bureaux centraux du Parti, est l’homme
idéal. Et il le sait.
Le X e congrès du Parti a interdit
provisoirement les « fractions », c’est-à-dire les regroupements
politiques internes au Parti. Cette interdiction sera pain béni pour Staline.
Le parti bolchevik craignant que l’ouverture au capitalisme privé ne fournisse
une base sociale aux forces politiques hostiles au régime, et, en 1922, le
pouvoir interdit définitivement les autres partis socialistes. En juillet-août 1922,
un grand procès ouvert contre trente-quatre dirigeants
socialistes-révolutionnaires en condamne douze à mort (peine ultérieurement
commuée) et dix à des peines de prison pour attentats pendant la guerre civile.
Les circonstances favorisent la promotion de Staline. Le 26 mai 1922,
une première attaque a écarté Lénine de l’activité politique pendant quatre
mois. Lénine s’installe dans une vaste propriété à Gorki, à une quarantaine de
kilomètres au sud de Moscou. Staline lui rend régulièrement visite : douze
fois pendant cette période. Trotsky, jamais. On lui a caché, dira-t-il, la
maladie et l’adresse de Lénine… qu’il aurait pu aisément se procurer s’il l’avait
voulu. Mais leurs relations se sont dégradées depuis la querelle syndicale, et
Lénine réunit parfois, sans lui, Zinoviev, Kamenev et Staline, à qui un jour il
demandera de lui procurer du poison lorsqu’il se sentira incurable.
Staline garde le silence. Il publie quelques souvenirs pour
le dixième anniversaire de la Pravda, le 5 mai, et des notes
familières, fallacieusement rassurantes sur l’état de santé du « Vieux »,
la veille de son retour aux affaires, le 24 septembre. Il ne publiera
ensuite qu’un entretien sur la formation de l’URSS, le 13 novembre, et ne
prendra la parole en public que deux fois, les 26 et 30 décembre au
Congrès des soviets, à l’occasion de la proclamation de l’URSS. On ne saurait
être plus discret.
Toute son activité se déroule alors en coulisses et au
sommet du Parti. Il plaît à l’appareil en se posant en gardien de la
discipline. Ainsi quand il sanctionne David Riazanov. Celui-ci, opposant
perpétuel, spécialiste de Marx et d’Engels, maniant l’ironie avec un art
consommé, avait déclaré en 1921 : « Le parlement anglais peut tout,
excepté changer un homme en femme. Notre Comité central est bien plus
puissant : il a déjà changé plus d’un homme très révolutionnaire en bonne
femme et le nombre de ces bonnes femmes se multiplie incroyablement [391] . » Ce
défenseur des droits de l’homme s’oppose publiquement à la peine de mort contre
les dirigeants socialistes-révolutionnaires lors de la conférence bolchevique
de Moscou tenue fin juin 1922. Staline ordonne à son secrétaire,
Tovstoukha, d’envoyer le sténogramme de son discours à tous les membres du
Bureau politique, et interdit Riazanov de parole à l’université de Moscou et à
l’Académie socialiste.
Il se présente aussi comme gardien de la moralité du Parti.
Le 9 mars 1922, il informe Lénine que des indélicatesses financières
ont été commises au commissariat aux Affaires étrangères, et suggère que les
deux responsables, Karakhan et Gorbounov, soient jugés ; en accord avec
Lénine, il en fait la proposition au Bureau politique le 13 mars. Puis l’affaire
traîne en longueur, elle est évoquée par deux fois en décembre avant d’être
enterrée [392] .
Finalement, Staline s’emploie à s’attacher les services des corrompus après les
avoir dénoncés…
En février, le Bureau politique décide de confisquer les
objets du culte en or ou en argent afin de financer l’aide aux nécessiteux.
Sous la présidence du Russe Kalinine, un homme aux allures de campagnard,
Trotsky dirige la commission d’Enlèvement chargée de cette opération, à
laquelle Lénine, qui hait l’Église, accorde une grande importance. Staline n’y
prend pas part, mais la soutient d’abord. Ici ou là, des heurts se produisent
entre la milice ou la troupe et des paysans soutenus par le clergé. À Chouia,
près d’Ivanovo-Voznessensk, quatre
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