Staline
Russie
ne connaît que l’« oukase » et le passe-droit. L’État russe a
toujours été la chose personnelle du tsar, son service privé, défendant ses
intérêts et ceux d’une cour ruineuse. Sous Staline, il en ira de même.
La NEP, de son côté, génère une couche sociale nouvelle
composée de commerçants d’affairistes, d’intermédiaires et de trafiquants en
tout genre, les nepmen, qui assurent une part croissante des échanges entre la
ville et la campagne. Incertains du lendemain, ils s’enrichissent vite,
dépensent aussi vite et achètent par poignées les fonctionnaires des soviets et
les cadres du Parti. Leur enrichissement et le développement galopant de la
corruption dans l’appareil de l’État et du Parti favorisent les inégalités et
les privilèges.
C’est à cette époque qu’un groupe de Cadets, sous la
direction du professeur Oustrialov, ancien chef du service de presse de l’amiral
Koltchak, réunis autour de la revue Changement d’orientation (publiée à
Prague dès novembre 1921), invitent les émigrés à se rallier au nouveau
pouvoir, qui, en sauvant l’intégrité territoriale de l’Empire russe et l’État,
incarne, disent-ils, l’avenir national de la Russie. Ils rentreront en URSS et,
à l’exception d’Oustrialov, fusillé en 1938, deviendront tous des « idéologues »
du stalinisme. L’un d’eux, Korovine, sera même conseiller de la délégation
soviétique chargée, en 1945, des négociations sur le statut de l’ONU.
Staline, membre du Parti depuis ses origines, du Comité
central depuis 1912, du Bureau politique depuis sa création, est le dirigeant
qui répond le mieux aux deux besoins de l’appareil : la tranquillité et la
garantie de ses privilèges encore modestes. Pour lui aussi les discussions sont
du bavardage inutile ; il le souligne d’ailleurs en se qualifiant lui-même
avec insistance de « praticien », par opposition aux « théoriciens »,
nécessairement verbeux. Muet dans les congrès, il est le plus discret des
membres du Bureau politique et du gouvernement. Il écrit et parle peu. Il
bougonne, marmonne, fume sa pipe et rassure finalement tout le monde.
CHAPITRE XII
Le dernier combat
Staline se trouve placé à la tête de l’appareil au moment
même où Lénine engage contre ce dernier une offensive décidée. La NEP, souligne
Lénine, exige des directeurs, gestionnaires, comptables et intendants
compétents. Or, il constate que tous les postes économiques sont occupés par
des cadres du Parti dévoués et honnêtes, mais franchement incompétents. Et il
déclare la guerre à l’incompétence.
Devant la fraction communiste du syndicat des
métallurgistes, il affirme que les entreprises commerciales doivent être
dirigées par des gens expérimentés, et raille les communistes qui ne sont bons
qu’à multiplier réunions et commissions : « L’épuration a chassé du
Parti une centaine de milliers de filous et de voleurs. Cela ne suffit pas. »
Lénine émet le vœu que, après le congrès prochain du Parti, « les dizaines
de milliers d’adhérents qui, aujourd’hui, ne savent qu’organiser des réunions
mais pas le travail pratique subiront le même sort ». « Notre pire
ennemi intérieur, ajoute-t-il, c’est le bureaucrate, et le bureaucrate c’est le
communiste qui occupe un poste de type soviétique responsable (et aussi
irresponsable). […]. Nous devons nous débarrasser de cet ennemi [389] . »
Ces bureaucrates, menacés d’être remplacés par des « spécialistes
bourgeois » et renvoyés à l’établi, savent que Lénine ne parle pas en l’air.
L’armée et le Guépéou en témoignent : les réductions budgétaires amputent
les moyens de la police politique, qui doit réduire les traitements et
licencier massivement. Le 20 juin, le président du Guépéou d’Ukraine,
Mantsev, dans une lettre apocalyptique, se plaint à Dzerjinski des conséquences
désastreuses des coupes budgétaires qui l’ont déjà amené à licencier 75 %
de son effectif, expliquant que les agents en exercice, surtout les chargés de
famille, ne peuvent survivre qu’en vendant sur le marché leurs maigres biens et
se trouvent « dans un état de jeûne permanent » qui engendre de « nombreux
cas de suicides dus à la famine et à un épuisement extrême ». Il a même
reçu des lettres de collaboratrices se déclarant obligées de se prostituer pour
ne pas mourir de faim. Le Guépéou a, dit-il,
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