Staline
Section secrète. Début août, il part à Sotchi
où il s’installe dans une datcha au cœur du parc réservé aux dirigeants du Parti ;
il se plaint encore de douleurs des muscles des bras et des jambes. Son
médecin, Valedinski, n’observe aucun symptôme pathologique et lui recommande
des bains aux eaux de Matsesta. Pendant cette cure, Molotov l’informe que
Kroupskaia commence à prendre ses distances avec l’Opposition et que Boukharine
et lui discutent avec elle de son ralliement à la majorité. Staline le
rabroue : « Les négociations avec Kroupskaia non seulement ne sont
pas maintenant opportunes, mais sont politiquement nuisibles. Kroupskaia est
une scissionniste, il faut la battre en tant que scissionniste si nous voulons
préserver l’unité du Parti [540] . »
La rancune n’explique pas tout. Si Kroupskaia veut discuter,
c’est qu’elle est prête à se rallier ; or, pour lui, ce ralliement ne doit
pas être acquis par la négociation mais par la capitulation, qui seule
permettra de réduire la veuve de Lénine à l’état de fantôme.
Il revient à Moscou à la fin de septembre. En pleine lutte
contre l’Opposition, fin novembre, épuisé, il repart à Matsesta soigner ses
douleurs musculaires, qui s’apaisent peu à peu.
La décomposition et la corruption de l’appareil du pouvoir s’opèrent
parallèlement à une différenciation sociale croissante et au développement du
chômage qui, à la fin de 1927, frappe près de 2 millions d’ouvriers. La
caste dominante multiplie, écrit Christian Racovski en 1928, « vols,
prévarication, violences, extorsions, abus de pouvoir inouïs, arbitraire
illimité, ivrognerie, débauche [541] ».
Un rapport du Guépéou « sur l’état de la légalité socialiste dans les
campagnes » en 1924-1925 confirme ce tableau : « Dilapidation
des deniers publics, […] bureaucratisme, abus de pouvoir, pots-de-vin,
débauche, […] ces défauts se retrouvent dans tous les organismes soviétiques
sans exception. » Après quelques exemples de ces vols, brutalités, viols
et autres tortures, le rapport poursuit : « Les appareils judiciaire
et policier sont totalement gangrenés par un alcoolisme généralisé, la pratique
courante des pots-de-vin […]. Par leurs bacchanales et leurs constants abus de
pouvoir, les fonctionnaires loyaux envers le régime discréditent le pouvoir
soviétique [542] . »
Pour les paysans, souvent, les autorités locales ne sont qu’un repaire de
bandits.
Au XIV e congrès, en décembre 1925,
Staline ricane, dans une allusion moqueuse à Lénine : « Je suis un
homme brutal et sans détour, oui c’est vrai, je ne le nie pas [543] . » Cette
brutalité revendiquée plaît aux apparatchiks qui y voient l’expression d’une
fermeté rassurante, une garantie que leur pouvoir fragile et menacé sera
protégé. Le Parti chevauche en effet une société chaotique formée d’une
majorité de petits propriétaires paysans individualistes. La révolution et la
guerre civile ont accéléré la dislocation sociale qui les avait engendrées et
encouragé les autorités locales à régner sur leur territoire sans trop se
soucier des ordres venus d’en haut. Les salaires sont payés avec des mois de
retard, suscitant des grèves et des groupes d’opposition clandestins ; le
banditisme fait rage, les attaques de trains sont monnaie courante.
La différenciation sociale qui se dessine sous la NEP irrite
les couches les plus pauvres. Un rapport du Guépéou signale la multiplication
des meurtres de communistes, de membres des soviets ruraux ou d’instituteurs
perpétrés par des paysans. Cette tension renforce dans l’appareil l’exigence d’unité
autour de la direction, et isole toujours plus l’opposition. Le risque est d’autant
plus grand que le chômage atteint en 1927 un million et demi de travailleurs.
Des centaines de milliers d’ouvriers sont logés dans de vieilles et minuscules
casemates construites sous le tsar près de leur fabrique, où s’entassent des
familles entières, quand ils ne doivent pas se contenter des zemlianki qu’ils ont creusées de leurs mains.
Fin octobre, l’Opposition signe avec la direction une trêve
que la marche en avant de la révolution chinoise va rompre. La Chine était
depuis le début du siècle morcelée en une série de principautés dirigées de
fait et pillées par des « seigneurs de la guerre » avec la
bénédiction des puissances coloniales, qui
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