Staline
faire une
jument ! » Staline étend cette manifestation de l’indifférence
paysanne au Parti lui-même : « Il me semble que l’attitude
indifférente de certains de nos dirigeants à l’égard des gens, des cadres, et
leur incapacité à apprécier les gens sont une survivance de cette étrange
attitude des gens pour les gens manifestée dans cet épisode qui s’est déroulé
dans la lointaine Sibérie [782] . »
Avec ce récit qui se conclut par l’affirmation restée célèbre que les « cadres
décident de tout », Staline fait d’une pierre trois coups : il
rappelle qu’il a été une victime de l’oppression et de la répression, il se
différencie des dirigeants indifférents aux problèmes du peuple, mais souligne
que l’insouciance à l’égard de la vie humaine vient de ce peuple même, et plus
précisément de ces paysans qu’il vient de décimer… Comment s’apitoyer sur eux
et sur ces dirigeants sans cœur frappés au cours des purges ? Ils ne l’auront
pas volé…
Staline prépare un tour de vis au Goulag. Le 26 janvier 1935,
Iagoda, dans un télégramme adressé à tous les camps, les assimile à des « établissements
de bienfaisance » d’où on s’évade aisément. Le mot est de Staline. Le Goulag
accueille alors en masse les victimes des purges, de la terreur politique et d’une
législation pénale à la sévérité croissante, dictée, rédigée, contrôlée ou
visée par Staline. Il a créé en novembre 1934 des « conférences
spéciales » ou « troïkas » près le NKVD, investies du pouvoir de
déporter sans jugement toute personne jugée « socialement dangereuse ».
Plus brutal encore, un arrêté du 7 avril 1935 étend la peine de mort
aux mineurs à partir de 12 ans. Le Goulag accueille en masse paysans,
ouvriers, employés, adolescents, toutes victimes impuissantes du chaos de la
vie quotidienne, de la désorganisation du travail, du désordre bureaucratique,
de la faim.
L’assassinat de Kirov est suivi d’une redistribution des
rôles dans la direction, de la promotion de nouveaux venus et d’un remaniement
des fonctions des vieux compagnons de Staline, dont l’un, Valerian Kouibychev,
membre du Bureau politique depuis 1927, disparaît en ce début d’année, le 25 janvier 1935,
à l’âge de 47 ans. Son ivrognerie dépassait la moyenne bureaucratique et
son cœur était assez fragile ; il semblait surtout éprouver bien des
réticences à propos de la politique de Staline. En 1938, au troisième procès de
Moscou, les trois médecins inculpés seront accusés de l’avoir empoisonné.
Le 27 février 1935, le Bureau politique adopte une
résolution rédigée de la main de Poskrebychev, dictée et signée par Staline.
Elle déconcentre et disperse les responsabilités dans le Secrétariat du Comité
central et affaiblit ainsi l’influence des proches et vieux compagnons du
Guide : Kaganovitch perd sa place de premier suppléant de Staline ;
Iejov empiète sur les pouvoirs d’Andreiev ; Jdanov, nouveau secrétaire du
Parti à Leningrad, contraint de passer dix jours par mois à Moscou, occupe au
Secrétariat une place centrale que Kirov refusait d’occuper.
Raskolnikov, stalinien fidèle déjà rongé d’inquiétudes,
entreprend, cette année-là, un portrait psychologique de Staline, qu’il laisse
inachevé, comme s’il avait craint d’aller jusqu’au bout de sa réflexion. Il souligne
son ascétisme et son indifférence à l’égard de la nourriture, du luxe et des
biens matériels en général. « Il est méfiant et soupçonneux. […] il
accorde une foi illimitée à tout ce qui peut compromettre quelqu’un, ce qui
renforce ainsi sa méfiance naturelle […]. Il est exceptionnellement rusé. […]
Nul ne peut rivaliser avec Staline dans l’art de "rouler" les autres.
Il est perfide, fourbe et vindicatif. » Mais « sa caractéristique
psychologique fondamentale, celle qui lui a donné une supériorité décisive, c’est
une force de volonté inhabituelle, surhumaine. Il sait toujours ce qu’il veut
et il cherche à atteindre son but pas à pas, avec un esprit méthodique
inébranlable et implacable […]. Sa force de volonté écrase, anéantit l’individualité
de ceux qui tombent sous son influence […]. Staline n’a pas besoin de
conseillers, seulement d’exécutants. C’est pourquoi il exige de ses proches
collaborateurs une soumission, une obéissance, une docilité totales, une
discipline sans
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