Staline
faille et servile [783] ».
Malgré toutes ces qualités, il est bien peu à l’aise en
politique étrangère, dont il ne connaît ni les tenants ni les aboutissants. Il
tente à nouveau de se rapprocher d’Hitler. Le 28 janvier 1935,
Molotov déclare au VII e congrès des soviets : « Nous
n’avons pas d’autre désir que d’avoir plus tard aussi de bonnes relations avec
l’Allemagne. » Au début de 1935, le conseiller de l’ambassade soviétique à
Berlin, Bessonov, et l’attaché commercial David Kandelaki effectuent de
discrets sondages auprès des nazis. Kandelaki rencontre Schacht en février 1935.
Constatant la froideur d’Hitler, Staline met une sourdine à la dénonciation du
traité de Versailles, qui servait de pont avec l’Allemagne d’hier et d’aujourd’hui,
délaisse le langage ultrarévolutionnaire de la période antérieure, se tourne
vers les démocraties occidentales et pousse les partis communistes à former des
fronts populaires. Il s’emploie néanmoins à ne pas couper les ponts avec l’Allemagne
nazie. Pour rassurer à la fois Berlin, qui dénonce le bolchevisme et ses rêves
de révolution mondiale, et les démocraties occidentales, il se fait poser, le 1 er mars 1935,
par le journaliste américain Roy Howard, la question : « Qu’en est-il
de vos plans et de vos intentions de révolution mondiale ? » Et
Staline se récrie : « Nous n’avons jamais eu de pareils plans et de
pareilles intentions […]. C’est le fruit d’un malentendu […] un malentendu
comique, ou plutôt tragi-comique [784] . »
Quelques jours plus tard, Toukhatchevski rédige un article dénonçant les plans
de guerre d’Hitler. Staline le relit, le corrige, en modère le ton et en
modifie le titre, d’où il supprime le nom d’Hitler, et qui devient « Les
plans de guerre de l’Allemagne nazie » dans la Pravda du 31 mars.
Deux mois après, le 2 mai, Pierre Laval, président du
Conseil français, se rend à Moscou pour signer un pacte d’assistance mutuelle
franco-soviétique. Sur la photo rituelle, les deux hommes assis côte à côte ont
l’air cousins avec leurs dents et leurs doigts jaunis, leur teint terreux,
leurs yeux à demi bridés et, semble-t-il, leur rire épais. Le correspondant de
Paris-Soir rapporte un dialogue édifiant entre ces deux roués, aussi riches de
ruses que pauvres en scrupules : « Je ne suis pas un diplomate »,
affirme Staline. « Moi non plus », rétorque Laval. « J’ai l’intention
de vous parler en toute franchise », reprend le Secrétaire général. « C’est
pour cela que je suis venu [785] »
réplique le député d’Aubervilliers. Staline appuie la politique militaire de
Laval, le retour au service de deux ans, le renforcement de l’armée française.
De retour à Paris, Laval annonce ce soutien qui prend à contre-pied le Parti et
les jeunes communistes engagés dans la dénonciation antimilitariste des « gueules
de vache ». Staline n’a pas jugé utile de les prévenir ; leur rôle
est d’appliquer la volte-face de Moscou.
L’obéissance aveugle est le propre du bon cadre ; la
réflexion individuelle est la marque du futur trotskyste et saboteur.
Staline ne renonce pas pour autant à ses gestes en direction
d’Hitler. Lors d’un déjeuner à la villa de Molotov, fin novembre, le maître de
maison déclare à Raskolnikov : « Notre ennemi principal, c’est l’Angleterre [786] ! » À
la fin de l’année, l’ambassadeur Souritz est mandaté pour rencontrer le
ministre des Affaires étrangères nazi, von Neurath. Le 3 décembre,
Litvinov informe Staline que les résultats sont décevants. Pourtant, le 10 janvier 1936,
Molotov revient à la charge dans un discours public : « Le
gouvernement soviétique désirerait établir avec l’Allemagne de meilleures
relations que les relations actuelles. » L’écho à Berlin est nul.
Dans l’arène internationale, Staline affiche encore un air
de politicien provincial qu’illustre l’histoire racontée par Mikoian à son
interprète Berejkov. Au début de l’été 1935, Mikoian doit partir aux États-Unis
négocier un achat de matériel. Staline, désireux de prendre contact avec
Franklin D. Roosevelt, lui présente un Américain, Cohen, membre lointain
de la famille de Paulina Jemtchoujina, et lui chuchote : « Ce Cohen
est un capitaliste. Lorsque tu seras en Amérique, prends rendez-vous avec lui.
Il nous aidera à établir un dialogue
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