Staline
politique avec Roosevelt. » Arrivé à
Washington, Mikoian s’aperçoit que le « capitaliste » Cohen, simple
petit propriétaire d’une demi-douzaine de stations d’essence, n’a pas ses
entrées à la Maison-Blanche. Peu après, Henry Ford lui propose de le présenter
à Roosevelt. Mikoian fait demander des instructions à Moscou par l’ambassadeur
soviétique. Il ne reçoit aucune réponse et ne bouge pas. Berejkov s’étonne :
pourquoi n’avoir pas saisi l’occasion ? « Vous connaissez mal
Staline, lui répond Mikoian. Il m’avait ordonné d’agir par l’intermédiaire de
Cohen. Si, sans son accord, j’avais utilisé les services de Ford, il aurait
dit : "Ainsi ce Mikoian veut être plus malin que nous, il s’est lancé
dans la grande politique." Il ne me l’aurait jamais pardonné. Il se serait
obligatoirement souvenu un jour ou l’autre de cet épisode et l’aurait utilisé
contre moi [787] . »
En esquivant cette jalousie, Mikoian justifiait à l’avance la phrase qui courra
plus tard sur lui : « Il est allé d’un Ilitch [Lénine] à l’autre
[Brejnev] sans infarctus ni arrêt cardiaque. »
Deux mois plus tard, le 28 juin 1935, Staline
reçoit Romain Rolland et lui parle d’abord de l’assassinat de Kirov et de la
répression ultérieure, que l’écrivain approuve chaudement (« Vous avez eu
raison d’écraser énergiquement les membres du complot dont Kirov a été la
victime »). Il évoque ensuite le « complot des bibliothécaires »
et le décret d’avril 1935, qui étend l’application des diverses peines
prévues par la loi (dont la loi des Cinq Épis du 7 août 1932), et
donc de la peine de mort, aux enfants de plus de 12 ans. L’humaniste
pacifiste s’en inquiète. Staline le rassure. Le décret d’avril 1935 « a
une signification purement pédagogique ». Qui vise-t-il ? Staline
oublie les petits paysans affamés qui volent quelques pommes de terre et
invoque, évoque ou invente des hooligans qui poussent les fillettes à se
prostituer, tentent de tuer ou de débaucher les travailleuses de choc et les
bons élèves qu’ils terrorisent, poignardent ou jettent dans des puits. Romain
Rolland, ému, s’étonne : « Pourquoi ne publiez-vous pas ces
faits ? Alors les raisons de la publication de ce décret seraient
claires ! » Pourquoi ? Mais c’est évident ! « Pouvons-nous
dire que nous l’avons édicté pour des raisons pédagogiques, pour prévenir les
crimes, pour effrayer les jeunes criminels ? » (« Non, bien sûr »,
opine l’auteur de Jean-Christophe.) « Il serait dès lors inefficace, mais
nous n’avons jamais appliqué et nous espérons ne jamais en appliquer les
décisions les plus extrêmes » (c’est-à-dire la peine de mort). Pur
mensonge. Staline revient ensuite sur le meurtre de Kirov et affirme
cyniquement : « Les cent individus que nous avons fusillés n’avaient
pas, du point de vue juridique, de lien direct avec les meurtriers de Kirov. »
Mais ils avaient été envoyés de l’étranger pour commettre des attentats. D’ailleurs,
ils ont demandé eux-mêmes la mort. Ils ont déclaré au procès (imaginaire, ces « gardes
blancs » ayant été fusillés sans jugement) : « Nous voulions et
nous voulons anéantir les leaders soviétiques, nous n’avons rien à vous dire,
fusillez-nous si vous ne voulez pas que nous vous anéantissions. » Donc, « pour
prévenir ce forfait », les autorités ont fusillé ces candidats volontaires
au poteau d’exécution.
Staline joue ensuite la comédie du modéré, poussé à frapper
malgré lui : « Nous voudrions bien ne pas appliquer le châtiment
suprême aux criminels, mais, par malheur, tout cela ne dépend pas de nous […]
et alors que nos amis en Europe occidentale nous recommandent le maximum de
douceur avec nos ennemis, nos amis en URSS exigent la fermeté, ils exigent par
exemple que l’on fusille Zinoviev et Kamenev, qui sont les inspirateurs du
meurtre de Kirov. » Ainsi, en juin 1935, Staline avait déjà décidé d’abattre
ses deux anciens alliés, et présentait ce dessein comme une exigence populaire
s’imposant à lui. Il passe ensuite aux femmes « terroristes » du
Kremlin, chargées de ranger les bibliothèques des dirigeants. « Ces débris
des classes hier dirigeantes et aujourd’hui écrasées, de la bourgeoisie et des
propriétaires fonciers […] se promenaient avec du poison, dans l’intention
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