Staline
cible principale. Le NKVD utilise les bibliothécaires,
femmes de ménage et standardistes pour frapper plus haut. Il arrête l’intendant
du Kremlin, le vieux communiste Ivan Loukianov, et ses trois adjoints.
Iejov, qui mène l’enquête, informe régulièrement Staline de
ses développements. Au Comité central des 5-7 juin 1935, qui exclut
Enoukidzé « pour dégénérescence politique et morale », il annonce la
découverte dans l’appareil du Comité exécutif central de cinq groupes
terroristes qui préparaient un attentat contre Staline, dont un groupe dit de
jeunes trotskystes, dans lequel le NKVD fait figurer Serge Sedov, le fils de
Trotsky resté en URSS, étranger à la politique. Les membres du personnel et les
opposants sont accusés de s’être unis dans un « bloc
contre-révolutionnaire de gardes blancs, d’espions, de trotskystes et de
racailles kamenievo-zinoviévistes. Tous ces ennemis du peuple, aigris, jetés
par-dessus bord de la révolution, se sont unis dans le seul but d’anéantir par
tous les moyens le camarade Staline [773] ».
Ces étranges groupes terroristes installés au cœur du
Kremlin, dont ils assurent le fonctionnement, ne font rien, mais ont besoin de
conseillers militaires et d’explosifs. Le NKVD arrête un chef de la Direction
des services de renseignements de l’Armée Rouge, qui « avoue » :
il s’est allié aux trotskystes pour organiser en URSS la contre-révolution, et
il a demandé au secrétaire de l’intendant du Kremlin les armes nécessaires à
ces sombres projets.
Zinoviev, sorti un moment de sa prison, témoigne à charge
contre son vieil ami Kamenev. Staline prend un plaisir particulier à dresser l’un
contre l’autre ses deux anciens alliés inséparables. Zinoviev raconte que
Kamenev lui a confié : « Le marxisme, aujourd’hui, c’est ce qui plaît
à Staline. » S’il refuse d’affirmer que Kamenev avait l’intention d’attenter
à la vie de Staline, il « n’exclut pas que les déclarations venimeuses et
les manifestations de haine de Kamenev à l’encontre de Staline aient pu être
utilisées à des fins contre-révolutionnaires directes [774] ». Il ne
restera plus au NKVD qu’à découvrir de semblables déclarations venimeuses de
Zinoviev lui-même à l’encontre du Chef pour retourner cette accusation contre
lui.
En février 1935, au congrès des « fermiers de choc »,
Staline applaudit un certain Trofime Lyssenko, dont les traits du visage sont
comme taillés à coups de serpe et qui dénonce, dans un même mouvement, les
koulaks et les saboteurs hostiles à ses méthodes, en clamant : « Un
ennemi de classe est toujours un ennemi, qu’il soit ou non savant. » Cette
conclusion arrache à Staline un cri : « Bravo, camarade Lyssenko,
bravo [775] ! »
L’année suivante, Lyssenko annoncera : « Les gènes n’existent pas, c’est
un mythe inventé par les idéalistes [776] . »
Son ignorance est phénoménale, ses résultats nuls, mais peu importe à
Staline ; Lyssenko réduit la science à la politique et, sous un verbiage
prolétarien, justifie sa subordination totale à l’appareil du Parti. C’est un
bon cadre.
Ce « professeur aux pieds nus », ainsi qu’on le désigne
bientôt, fils de paysans, qui a commencé l’école à l’âge de 13 ans, s’est
approprié les travaux du biologiste Zaïtsev, l’inventeur de la vernalisation –
procédé qui vise à accélérer la germination des semences en les humidifiant à
des températures très basses, pour parvenir à semer des blés d’hiver au
printemps. Lyssenko se présente comme le père de la découverte et la met en
pratique sans l’avoir sérieusement expérimentée. Cette application hâtive n’aboutit
qu’à faire pourrir des tonnes de grain. Mais l’échec n’entrave nullement sa
carrière. Au congrès de février 1935, il vitupère les paysans qui refusent
la vernalisation et dénonce les koulaks et les saboteurs qui leur conseillent
de ne pas humidifier les semences sous peine de les faire pourrir ! Et il
hurle : « Sur le front de la vernalisation, ne s’agit-il pas toujours
de lutte de classes [777] ? »
Staline, charmé, propulse cet amateur qui annonce inlassablement des
transformations miraculeuses de plantes toujours ratées. Indifférent à ces
échecs, il applaudit à l’attitude politique de Lyssenko, non à ses compétences.
Si Lyssenko n’arrive à rien d’ailleurs, c’est parce que ses
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