Staline
central, convoqué initialement pour le 20 juin,
s’ouvre le 23 sur une menaçante « communication du camarade Iejov ».
Le voile épais du secret pèse sur les quatre premiers jours de cette réunion
dont Staline interdit de sténographier les séances, officiellement consacrées à
la nouvelle loi électorale, à l’amélioration des semences des céréales, à la
technique des assolements et aux mesures d’amélioration du travail des stations
de machines et tracteurs. Selon Khrouchtchev, chaque intervenant doit critiquer
un voisin. Staline invite les membres du Comité central à se déchirer entre eux
pour exercer leur vigilance. Il frappe fort d’entrée de jeu ; dès le
premier jour, 26 membres du Comité central en sont exclus sans
explication : 7 pour « défiance politique », 19 autres,
aussitôt livrés au NKVD, « pour trahison du Parti et de la patrie et
activité contre-révolutionnaire résolue ». Parmi eux figurent Knorine,
ancien dirigeant du Comintern, Cheboldaiev, ancien secrétaire de la région
Azovmer Noire, Ounchlicht, ancien procureur.
Une rumeur insistante veut que deux membres du Comité
central aient alors manifesté leur opposition. D’après le secrétaire de
Kaganovitch, Gouberman, Staline demande, à l’ouverture de la réunion, que l’on
attribue les pleins pouvoirs extraordinaires à Iejov afin de liquider tous les « droitiers ».
Piatnitski, l’ex-chef des services de liaison du Comintern, aurait alors
déclaré : Il faut se contenter d’exclure Boukharine et les droitiers du
Parti tout en mettant à profit leur expérience économique, et non donner les
pleins pouvoirs à Iejov, dont les décisions et les méthodes sont très
contestables ; il faut aussi renforcer le contrôle du Parti sur son activité
et celle du NKVD. Staline décrète alors une interruption de séance et envoie
Molotov, Kaganovitch et Vorochilov demander à Piatnitski de retirer son
intervention. Piatnitski refuse. Le lendemain, Iejov le dénonce comme ancien
agent de l’Okhrana et le fait blâmer [893] .
Cette révolte de Piatnitski, après l’exclusion de 26 nouveaux membres du
Comité central terrorisé, paraît peu vraisemblable. Cet ancien ouvrier
tailleur, bolchevik des premiers jours, était devenu depuis longtemps un homme
de bureau, totalement soumis à Staline. Il sera, il est vrai, chassé du Comité
central le 25 juin. Mais son arrestation, le 7 juillet, s’inscrit
avant tout dans l’organisation du grand procès public du Comintern.
L’éclat de Kaminski, l’ancien commissaire du peuple à la Santé,
est en revanche attesté par Khrouchtchev et s’inscrit tout à fait dans la
grande tradition des intrigues menées au sein de la haute bureaucratie
soviétique. Pour en découdre avec un rival, Kaminski utilise l’invitation de
Staline à critiquer ses camarades. Il accuse ainsi Beria d’avoir, en 1918-1920,
travaillé à Bakou pour les services de renseignements des nationalistes
moussavatistes, contrôlés par les services de renseignements britanniques –
ce qui est vrai –, puis d’avoir abattu le Premier secrétaire du PC
arménien, Khandjian, et empoisonné le président du Comité exécutif des soviets
d’Abkhazie, Lakoba. Mais Staline, qui voulait justement se débarrasser de ce
trop indépendant Lakoba, a besoin de Beria, et Kaminski s’est trompé de cible.
Il est immédiatement arrêté et exclu du Comité central et du Parti « comme
indigne de confiance ».
Au total, 31 membres du Comité central en sont exclus
au cours de cette réunion de juin : c’est la plus grande saignée jamais
effectuée. Le plénum vote, de plus, une résolution autorisant officiellement le
recours à la torture, déjà pratiquée. Certains cadres du Parti, naïfs,
protestaient, en effet, contre l’emploi de « mesures de pression physique
à l’encontre des détenus » par le NKVD ! Il fallait donc en
régulariser l’emploi, et ainsi terroriser un peu plus l’appareil lui-même.
Comme Staline ne veut pas laisser de traces, la résolution n’est pas jointe au
procès-verbal, très partiel, de cette réunion. Mais, le 10 janvier 1939,
confronté aux interrogations voire aux protestations de cadres du Parti, il
adressera un télégramme chiffré en ce sens, à retourner à Moscou ou à détruire
après lecture, aux secrétaires des Comités centraux des Républiques, aux
secrétaires régionaux et territoriaux, ainsi qu’aux directions du NKVD
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