Staline
l’impliquer dans des entreprises
antisoviétiques. […]. Il n’a pu être coupable que d’une chose : avoir
lâché en présence de quelqu’un une phrase libérale [900] . » Une
simple « phrase libérale » suffisait donc pour être envoyé à la mort ?
Le 8 juillet, la Pravda publie un article
intitulé « Le professeur sadique et violenteur ». Sous ce titre à
scandale, le journal dénonce le professeur Pletnev, ancien Cadet, médecin
traitant de plusieurs personnalités du régime, parmi lesquelles le défunt
Ordjonikidzé. Pletnev, affirme l’article, a, trois ans plus tôt, sauvagement
mordu le sein d’une pauvre patiente, à jamais brisée par cette brutalité. Le 17 janvier 1937,
deux ans et demi plus tard, la patiente, un agent du Guépéou, lui adresse une
lettre, signée B, « document bouleversant », selon la Pravda, qui la reproduit : « Sois maudit, criminel, violenteur de mon corps !
Sois maudit, infâme sadique qui t’es livré à de honteux débordements sur mon
corps […]. Professeur criminel, tu as fait de moi la victime de ta corruption
sexuelle et de ta perversité scélérate. » Cette improbable morsure
perverse vaut au docteur septuagnéaire deux ans de prison puis l’envoi sur les
bancs du troisième procès de Moscou, qui reprend le thème obscurantiste du
médecin empoisonneur ou assassin, promis par Staline à un bel avenir.
Pour donner à la répression une ombre d’assise populaire, il
relance les procès de responsables du Parti dans les campagnes. Les tribunaux
prononcent cette fois des peines de mort devant des auditoires de paysans,
ravis de voir les petits chefs locaux payer les violences inouïes de la
collectivisation. La Krestian-skaia Pravda du 3 septembre, en
citant le cri d’une paysanne : « Ce sont des ordures, des cannibales »,
donne la mesure de la haine des kolkhoziens prêts à recommencer avec les cadres
quand Staline jugera achevé le renouvellement de l’appareil du Parti.
Il mène aussi au pas de charge la liquidation des « étrangers »,
engagée pour ce qui concerne les Polonais depuis 1936. La Lettonie avait, en
1917, aux élections à l’Assemblée constituante, voté à 72 % pour les
bolcheviks et ses tirailleurs avaient été le soutien militaire le plus efficace
des bolcheviks. Après la guerre, ils n’étaient pas retournés dans leur pays,
soumis à une dictature parafasciste. Au cours du premier semestre 1938, 3 680 Lettons
sont fusillés pour « espionnage au profit de la Lettonie bourgeoise » :
plus de la moitié d’entre eux sont membres du parti bolchevik, et plus d’un
tiers appartiennent au mouvement révolutionnaire depuis les années 1905-1907.
C’est alors que Staline découvre un nouveau nid de
saboteurs, inattendu celui-ci. Après collation des résultats du recensement de
janvier, le chef du Bureau des statistiques aboutit à un total de 156 millions
d’habitants. Or, Staline avait annoncé au XVII e congrès du
Parti, en janvier 1934, une « croissance de la population de l’Union
soviétique de 160,5 millions d’habitants, à la fin de 1930, à 168 millions,
à la fin de 1933 », soit une progression annuelle de 2,5 millions d’habitants
(contre 3,7 millions dans la Russie tsariste de 1900 à 1913). Sur la base
du chiffre fantaisiste de 168 millions d’habitants en 1933, il avait prévu
180 millions de Soviétiques en 1937. En étendant au maximum la catégorie
des individus absents de chez eux, en déplacement, en congé, en voyage, le
Bureau de la population parvient, quant à lui, à un chiffre total de 162 millions.
C’est là 18 millions de Soviétiques en moins par rapport à la prophétie de
Staline, 6 millions de moins que ses prévisions pour 1933 et même 4,5 millions
de moins que le chiffre annoncé pour 1930. Ces statistiques apparaissent comme
une remise en cause brutale du Secrétaire général : ou bien il a menti en
1934, ou bien l’URSS a perdu 6 millions d’habitants de janvier 1934 à
janvier 1937. En grossissant les chiffres de la population en janvier 1934,
Staline avait voulu dissimuler les morts de la famine de l’hiver 1932-1933…
qui réapparaissent soudain, comme autant de fantômes, dans le recensement,
trois ans plus tard. Staline qualifie le résultat de sabotage trotskyste.
Les statisticiens vont le payer par la perte de leur poste,
de leur liberté, voire de leur vie, comme le chef du Bureau des statistiques,
Kraval,
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