Staline
monarchistes vont à Moghilev demander au tsar d’abdiquer. Il s’exécute
et veut transmettre la couronne à son frère, Michel, qui, dans cette tourmente,
la refuse. Le 2 mars, tandis que la liesse s’empare des rues et des
casernes, les députés monarchistes de la Douma constituent un gouvernement
provisoire, présidé par le prince Lvov, grand propriétaire terrien, et qui
comporte un ministre « socialiste », l’avocat Kerenski, « travailliste »
proche des socialistes-révolutionnaires, dont l’éloquence va charmer les foules
pendant quelques mois avant de susciter l’aversion au fil des désillusions. Le
même jour, le soviet publie son ordre n o 1 qui invite les
soldats à constituer dans toutes les unités des conseils (soviets) de soldats
élus et révocables, qui vont se multiplier et servir de caisse de résonance à
la haine de la guerre. Le 3 mars, un meeting réunit à Atchinsk tous les
exilés de la région et les notables locaux qui, dans l’euphorie générale,
adoptent un télégramme félicitant Michel Romanov de sa décision. Dix ans plus
tard, ce banal incident donnera lieu à une violente empoignade verbale au
Comité exécutif de l’Internationale communiste. Staline prétendra que Kamenev l’a
voté et signé, puis est venu le lendemain lui exprimer son repentir d’avoir
commis une telle erreur ; Kamenev, de son côté, l’accusera, semble-t-il à
bon droit, de mentir effrontément. Mais pour l’heure, l’entente entre les deux
hommes est totale.
Le Gouvernement provisoire annonce, le 6 mars, la
convocation ultérieure d’une Assemblée constituante à laquelle il renvoie l’essentiel
des problèmes à régler, et appelle les soldats à combattre jusqu’à la victoire
dans le respect des accords passés avec les Alliés. Cette révolution purement
politique apporte aux masses ouvrières et paysannes, ainsi qu’aux soldats, une
liberté de parole qui les grise un bref moment. Pour le reste, rien ne change
puisque la guerre continue. Mais la révolution qu’elle a engendrée a libéré des
aspirations sociales et nationales longtemps contenues. Sa poursuite produit
les mêmes effets dissolvants sur le régime qui en est issu.
Les gouvernements provisoires successifs s’acharnent, sous
la pression des Alliés, à poursuivre la guerre que les paysans-soldats qui
veulent la terre et la paix rejettent de plus en plus, et renvoient toute décision
sur le partage des terres à la future Assemblée constituante, au lendemain
lointain d’une victoire improbable, voire impossible, alors que la guerre
désorganise l’économie et le ravitaillement.
Les soviets et leur comité exécutif représentent la masse
des ouvriers, des soldats et des paysans. Bien que dirigés par les SR et les
mencheviks, qui entrent dans le gouvernement en mai, ils représentent de
facto la population laborieuse face au gouvernement. C’est le « double
pouvoir », régime instable, source, dès le début, de crise permanente, et
qui ne fera que s’amplifier.
Tirés par des locomotives fleuries, les trains ramènent les
déportés de Sibérie à Petrograd ou à Moscou. Le 8 mars, Staline quitte
Atchinsk en compagnie de Kamenev et de l’ancien député Mouranov, rejoints
bientôt par Sverdlov. Le train s’arrête à toutes les grandes gares, où une
foule en liesse accueille les exilés en entonnant la Marseillaise. Sverdlov, Kamenev, Mouranov se cassent la voix en adressant à la foule des
discours enflammés. Staline regarde, écoute et se tait. Le convoi arrive à
Petrograd le 12 mars. À la gare, personne n’attend les dirigeants de
retour d’exil. Staline part à la recherche des Alliluiev installés dans la
banlieue de la ville et qui, justement, sont en quête d’un appartement au
centre-ville, là où se déroulent les événements. Surtout, insiste
Staline : « Réservez-moi une chambre dans le nouvel appartement. N’oubliez
pas ! » En attendant, il vit quelques jours chez Kamenev. Les
Alliluiev trouvent bientôt un petit logement dans l’île Vassilievski, au
nord-ouest. Staline s’installe chez eux dans un coin de chambre.
Le 15 mars, le bureau du Comité central « décide,
en raison de certains traits de son caractère, de n’admettre Staline qu’avec
voix consultative », décision sans précédent. L’objet du conflit est
obscur, mais, incapable de convaincre sur on ne sait quel sujet, Staline s’est
montré si cassant et autoritaire qu’il a
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