Staline
Staline, le mot « mondiale » sera effacé). Le soir même, au
palais de la ballerine Ksechinskaia que les bolcheviks ont réquisitionné pour
leur état-major, il assène à la délégation bolchevique médusée un discours de
deux heures qu’il répète le lendemain devant la conférence des cadres
bolcheviks stupéfaits, puis devant la réunion commune des bolcheviks et des
mencheviks qui l’accueillent par des rires et des huées.
Il tranche : « La classe des capitalistes, liée
aux banques, ne saurait conduire aucune autre guerre qu’une guerre impérialiste [222] » de
rapines et d’annexions qu’il n’est pas question de soutenir. Il ne faut donc
accorder aucun soutien au Gouvernement provisoire. La Russie vit la transition
de la première étape de la révolution, qui a donné le pouvoir à la bourgeoisie,
à sa deuxième étape, qui doit donner le pouvoir au prolétariat et aux couches
pauvres de la paysannerie. Il faut constituer « une République des soviets
des députés ouvriers, salariés agricoles et paysans dans le pays tout entier [223] », créer
une Internationale révolutionnaire et rejeter l’unité avec les mencheviks
partisans de la guerre.
On accuse aussitôt Lénine d’être un anarchiste, un nouveau
Bakounine enfiévré… ou un agent allemand chargé de désorganiser l’armée russe.
Bref, sa position suscite d’abord l’incompréhension de tous, y compris des
dirigeants bolcheviks. Il n’arrive à faire adopter ses thèses, dites d’avril,
ni par la conférence bolchevique, ni par le Comité central, réuni le 6 avril,
où tous s’opposent à lui. Staline dit alors sèchement : « Ces thèses
ne sont qu’un schéma qui n’est pas nourri de faits [224] . » Lénine
les présente d’ailleurs sous son seul nom dans la Pravda du 7 avril.
Le comité de Petrograd les repousse par 13 voix contre 2 et 1 abstention,
et elles font l’objet des critiques de Kamenev dans la Pravda du 12 avril.
Lénine n’est guère soutenu d’abord que par Alexandra Kollontaï, connue alors
comme propagandiste de l’amour libre, et qui n’a aucune autorité politique. Ce
soutien suscite un distique moqueur : « Lénine quoi qu’il pépie /
Kollontaï toujours le copie [225] . »
Le 9 avril, dans la Pravda, Lénine menace de créer un nouveau « parti
communiste prolétarien dont les meilleurs partisans du bolchevisme ont déjà
créé les éléments ». La menace refroidit ses adversaires dans les hautes
sphères du parti bolchevik, où l’on sait que la base du parti soutient l’émigré
de retour…
Du 14 au 22 avril se tient la conférence de Petrograd
du parti bolchevik, suivie de la Conférence nationale, du 24 au 29 avril.
Le retournement est brutal. Les deux conférences adoptent la résolution de
Lénine : totale défiance à l’égard du Gouvernement provisoire. Staline
sent le vent, mais sa raideur et sa lenteur s’accusent en cette période de
bouillonnement : il lui faut du temps pour saisir les enjeux et deviner
qui va l’emporter. Il change de position en deux temps. Pendant la conférence
de Petrograd, où la victoire de Lénine est encore incertaine, il reste muet. Il
se rallie une fois assurée une victoire à laquelle il n’aura pris aucune part.
Le premier choc avec le Gouvernement provisoire se produit
alors. Le 18 avril, une note aux Alliés du ministre des Affaires
étrangères, Milioukov, affirmant que la Russie continuera la guerre jusqu’à la
victoire finale, met le feu aux poudres. Les 20 et 21 avril, des dizaines
de milliers d’ouvriers et de soldats, soutenus par les bolcheviks, défilent
dans les rues de la capitale pour exiger la démission de Milioukov. Staline,
bolchevik conciliateur, signe un télégramme du Comité exécutif central « demandant »
aux manifestants de « s’abstenir » de poursuivre leur mouvement en
raison du « tort provoqué par toutes ces manifestations éparses et
désorganisées [226] ».
Intervenant le dernier jour de la Conférence nationale, par
un rapport sur la question nationale qui laisse les délégués indifférents, il
se rallie pourtant à « l’orientation vers la révolution socialiste ».
Il est élu au Comité central en troisième position, avec 97 voix sur 109,
derrière Lénine (104) et Zinoviev (101), mais devant Kamenev (95 voix). Dans
sa préface aux Chemins d’Octobre, il écrira en 1925 : « Le
Parti s’était arrêté à mi-chemin dans les questions de
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