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Suite italienne

Suite italienne

Titel: Suite italienne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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de ce garçon de rien et quand je parle de la grandeur de notre maison, c’est uniquement pour te rappeler que tu es enceinte, bien près d’accoucher. Voulais-tu que ces gens vivent pour pouvoir dire un jour que la fille du pape, cette vierge timide séparée de son époux pour non-consommation de son mariage, est grosse d’un bâtard ?
    — Bâtard ou non, c’est « mon » enfant ! Vas-tu le tuer, lui aussi ? Si tu oses y toucher…
    César desserra son étreinte et, brusquement, se calma.
    — N’aie crainte. Il vivra, je t’en engage ma parole, mais il passera pour mien. J’ai commencé à faire courir le bruit que Camilla, ma maîtresse, est enceinte. Bientôt, tu t’éloigneras de Rome, elle aussi, et quand elle reviendra, l’enfant sera auprès d’elle. Toi, tu demeureras pure, inattaquable.
    — Mais je veux garder mon enfant, je veux l’élever ! s’écria Lucrèce, déjà en larmes.
    — Alors, il mourra, dès sa naissance ! Je ne laisserai pas le fils d’un domestique se mettre en travers de ma politique, car notre père et moi avons décidé que tu te remarierais prochainement.
    — Me remarier ? moi ?
    — Pourquoi pas ? Tu as l’âge, tu es belle, tu as subi une… épreuve aux mains d’un malheureux impuissant. Il est temps que tu prennes un véritable époux.
    — Et qui donc ?
    Comme par magie, les larmes de la jeune femme avaient cessé. D’abord, elle savait qu’un combat contre César était perdu d’avance, qu’il était le plus fort et qu’elle n’était pas de taille. Et puis, peut-être trouverait-elle là quelque agrément… Elle se sentait bien seule depuis la disparition de Perrotto.
    — Un fils du roi de Naples, bâtard mais légitimé. Il se nomme Alphonse, duc de Bisceglia… Il a ton âge… on le dit aimable… beau même. Enfin, on le prétend.
    Tout à coup, les mots paraissaient franchir avec peine les lèvres minces du cardinal et Lucrèce le regarda avec surprise. Elle connaissait l’étrange amour que lui portait son frère, un amour jaloux, exigeant, qui ne tolérait surtout pas qu’elle s’attachât à un autre homme. Leur frère Juan en avait su quelque chose, ainsi que le pauvre Perrotto… pourtant, il parlait d’un époux jeune, beau… C’était étrange. Ou alors il fallait que la politique napolitaine fût bien exigeante.
    — Tu veux me marier, toi ?
    — J’ai dit « notre père et moi », riposta-t-il, le visage fermé. Nous avons besoin d’un appui à Naples.
    — N’en avons-nous pas déjà un avec Sancia ?
    — C’est une femme. Le lien sera plus fort avec Alphonse, qui est d’ailleurs son frère. Au surplus, je crois qu’il ne sera guère encombrant. Tu l’aimeras… bien. Ce sera suffisant.
    Il y eut un silence que seul troublait le crépitement du feu de bois. Depuis qu’elle avait regagné son palais, Lucrèce avait toujours froid. Pour elle, on allumait dans les cheminées des forêts entières. Le regard bleu de la jeune femme se perdit dans les flammes. Au bout d’un moment, elle murmura :
    — Tu es d’Église, César, tu es cardinal, et cependant tu as des maîtresses, tu trompes, tu assassines.
    Le rire de Borgia éclata, sonore, renvoyé et amplifié par les caissons dorés du haut plafond.
    — Décidément, les nouvelles même proches ne viennent guère à toi. Il est vrai que celle-ci est toute fraîche : je vais quitter l’Église. Au surplus, je n’ai reçu que les ordres mineurs. Notre père m’envoie en France porter au nouveau roi Louis XII la bulle dont il a besoin pour se séparer de Jeanne de France, la boiteuse, et épouser la veuve de Charles VIII. Or, cette bulle, il faudra qu’il la paie… un bon prix même. Je veux un titre, un nom, une épouse même… Mais laissons cela. Tu ne dois plus songer qu’à épouser Alphonse.
    Elle détourna la tête pour qu’il n’y vît pas se lever quelque chose qui ressemblait à l’espérance.
    — J’épouserai Alphonse, dit-elle seulement d’une voix unie.

IV
La soutane aux orties…
    Vers la mi-juillet 1498, Alphonse d’Aragon, duc de Bisceglia, vint à Rome pour y épouser la fille du pape.
    En rencontrant Lucrèce pour la première fois, il fut émerveillé. On lui avait dit qu’elle était belle, mais il n’avait pas imaginé qu’elle pût être cette fée blonde, parée de ses cheveux d’or plus encore que de ses fabuleux bijoux. Et tandis qu’il la contemplait, il cherchait en vain à retrouver dans sa

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