Sur ordre royal
fin au-dessus de lèvres pleines et bien dessinées. Un trouble immédiat s’empara de Roslynn à sa vue, et elle ne put soudain plus détacher les yeux de lui.
Tandis qu’il lui retournait son regard scrutateur, elle se mit à trembler. Ce n’était pas de peur, se dit-elle, mais parce qu’elle était brusquement convaincue qu’il pouvait voir son cœur battre d’appréhension devant ce qu’il lui faisait éprouver.
Elle fut tout aussi surprise de se rendre compte, au pli qui se forma sur le front de l’inconnu, qu’il était mécontent d’éveiller un tel sentiment en elle.
Le seigneur de Llanpowell se leva et alla à la rencontre de l’arrivant, détournant heureusement d’elle son attention déconcertante. Ils s’entretinrent en un gallois rapide, l’homme plus âgé semblant essayer tant bien que mal d’apaiser le plus jeune.
Leur posture se ressemblait, ils pouvaient être parents, pensa Roslynn. Père et fils, peut-être ?
On ne l’avait pas informée que le seigneur de Llanpowell avait été marié, ni qu’il avait un fils ou d’autres enfants, mais après tout, on ne lui avait presque rien dit sur Madoc ap Gruffydd. Tout ce que le roi John lui avait dévoilé, c’était que l’Ours de Brecon devait se voir offrir une épouse ayant une dot conséquente en récompense de sa contribution à l’échec des plans félons de son défunt époux. Et il était donc logique qu’elle, Roslynn, soit l’épouse ainsi offerte.
Si ce bel homme était son fils ? se demanda-t-elle. Un fils adulte rendait la position d’une seconde épouse beaucoup plus précaire, elle le savait, et ce serait son cas si elle acceptait d’épouser le seigneur de Llanpowell.
— Nous nous montrons grossiers, dit soudain leur hôte en français, en se tournant vers eux.
Il fit un signe à son compagnon.
— Venez faire la connaissance de nos visiteurs.
Sire Alfred était déjà debout et Roslynn l’imita avec lenteur, glissant les mains dans ses longues manches et serrant ses avant-bras pour les empêcher de trembler tandis qu’ils approchaient.
— Voici sire Alfred de Garleboine venu de la part du roi John, déclara le seigneur, et voici dame Roslynn de Werre. Ni sa fille, ni son épouse, ni quoi que ce soit pour sire Alfred, apparemment, et veuve depuis peu, la pauvre petite.
Le jeune homme se planta devant elle, les pieds écartés, et la considéra avec méfiance, les bras croisés sur son large torse.
Il ne dissimulait pas ses sentiments, ses pensées ni ses réactions, comme beaucoup, constata Roslynn. Parce qu’il n’avait pas besoin de le faire ? Parce qu’il avait le pouvoir et l’assurance de révéler exactement à tout le monde ce qu’il pensait et éprouvait ?
Le pouvoir et l’assurance, oui, il dégageait certainement ces qualités. Avec une bonne dose d’arrogance. Ses manières faisaient paraître sire Alfred comme un modèle de courtoisie, et leur hôte semblait à côté de lui l’hospitalité personnifiée.
Aussi rapidement que la chaleur intense du désir avait submergé Roslynn au premier regard, elle se dissipa. L’arrivant n’était pas quelque prince guerrier indompté à admirer et à convoiter, mais de toute évidence un homme puissant et arrogant qui pouvait lui faire du mal si elle décidait de rester à Llanpowell.
Or elle s’était juré de ne plus jamais laisser un homme la blesser, quels que soient les ordres du roi John.
Sa détermination et sa fierté exacerbées par l’attitude du jeune homme, elle haussa le menton et répondit fermement à son examen soupçonneux.
— Je suis dame Roslynn de Werre.
— De Werre ? répéta-t-il, plissant les paupières. Comme le traître ?
— Oui. J’étais l’épouse de Wimarc de Werre, hélas, et comme le roi est reconnaissant de l’aide récente que votre père…
— Mon père ? l’interrompit le jeune Gallois. Il est mort voilà trois ans.
Le regard surpris de Roslynn alla de lui à l’homme plus âgé qui se tenait derrière lui.
— Le gentilhomme qui nous a accueillis n’est donc pas sire Madoc ap Gruffydd ?
— Non, répondit-il. Je suis Madoc ap Gruffydd, seigneur de Llanpowell.
2
Madoc ap Gruffydd, c’était lui ? Cet homme jeune, fort et insolent, était celui que le roi John s’attendait qu’elle épouse ?
Roslynn chercha le banc derrière elle et se laissa choir lourdement. Elle pouvait se faire à l’idée d’un mariage avec un homme d’un certain âge, en
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